La Loi espagnole relative à la copropriété[1] (ci après, la « Loi ») autorise le propriétaire d’un local commercial à modifier son affectation pour un usage d’habitation sans l’accord de l’assemblée des propriétaires dès lors que cette modification n’est pas expressément limitée par le régime de copropriété de l’immeuble auquel il appartient, par son titre constitutif ou sa règlementation statutaire.

La Direction Générale des Registres et du Notariat[2] (ci après, la « DGRN ») l’a ainsi réaffirmé dans un rapport[3] dans lequel elle soulève un problème d’interprétation d’une norme contenue dans les statuts du régime de copropriété d’un immeuble.

Dans le cas d’espèce, les propriétaires d’un local commercial avaient demandé l’inscription de la modification de destination de leur local commercial pour un usage d’habitation auprès du Registre de la Propriété de Madrid n°34, en fournissant l’autorisation administrative requise par la municipalité.

Le Registre de la Propriété de Madrid n°34 a cependant refusé d’inscrire le changement de destination du local commercial au motif qu’une clause[4] des statuts adoptés par l’assemblée des propriétaires restreignait l’usage desdits locaux. En effet, la clause prévoyait que ces  locaux «pourraient être destinés à des activités commerciales, des bureaux, des établissements commerciaux, artisanaux et autres similaires ». Le Registre de la Propriété en déduisait que toutes les autres destinations, tel que l’usage d’habitation, étaient exclues.

La Loi permet effectivement d’établir dans le titre constitutif de la copropriété des règles de constitution et d’exercice du droit, mais aussi des dispositions relatives à l’usage ou à la destination de l’immeuble, ses différents appartements et locaux, ses installations et services, ses coûts, son administration et gouvernance, les assurances, l’entretien et les réparations, formant alors un statut qui ne sera pas opposable aux tiers s’il est inscrit au Registre de la Propriété.

En l’espèce, la modification de la destination du local étant limitée dans les statuts de la copropriété, le Registre de la Propriété de Madrid n°34 a considéré qu’un tel changement ne pouvait s’opérer qu’à travers la modification des statuts et avec l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires.

En s’écartant de l’interprétation faite par le Registre de la Propriété de Madrid n°34 et de l’Escorial n°2, qui a confirmé postérieurement la décision du premier, la DGRN estime cependant qu’il ne ressort pas de la rédaction des statuts une limitation à la modification de la destination les locaux de l’immeuble clairement exprimée. D’après elle, les statuts prévoient la possibilité d’utiliser ces locaux pour des activités commerciales, des bureaux, des établissements commerciaux, de l’artisanat et d’autres activités similaires, ce qui ne suppose pas l’exclusion d’autres usages comme celui d’habitation.

La DGRN rappelle que les normes statutaires qui restreignent ou limitent la liberté d’utilisation d’éléments privatifs doivent être rédigées de manière claire et, dans tous les cas, être interprétées de manière stricte.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal Supremo[5], la DGRN admet le droit à la modification de la destination d’un appartement (dans le cas d’espèce, d’un local commercial vers un usage d’habitation) sans l’accord de l’assemblée générale des propriétaires dès lors que cette modification n’est pas expressément limitée ou interdite par le régime de copropriété, son titre constitutif ou ses statuts, sans préjudice de l’obtention des autorisations administratives nécessaires pour ce faire.

Nonobstant, la modification de la destination sera soumise à l’autorisation préalable de l’assemblée générale des copropriétaires si elle implique la réalisation de travaux sur des éléments communs ou structurels de l’immeuble ou une modification des quotes-parts des copropriétaires.

Marina Nicolas
avocate M&B

[1] Article 5 de la Loi 49/1960, du 21 juillet, relative à la copropriété.
[2] La DGRN est un département du Ministère de la Justice espagnol qui a pour fonctions, entre autres, l’élaboration des projets législatifs en matière de Droit notarial ainsi que l’organisation et le fonctionnement des Registres en matière civile et notariale.
[3] DGRN, Résolution, 19/07-2016
[4] Article 5 des statuts de la copropriété: “Les locaux au rez-de-chaussée pourront être destinés à des activités commerciales, des bureaux, des établissements commerciaux, à de l’artisanat ou à toute activité similaire. Son utilisation comme salles des fêtes, clubs nocturnes, pour de la vente d’articles de pyrotechnie et autres activités analogues ne sera pas autorisée. Les appartements de l’immeuble pourront être destinés à des habitations, des bureaux pour des professions libérales, des bureaux ou autres analogues, à l’exception des activités nuisibles, immorales, dangereuses, gênantes ou insalubres  telles que prévues à l’article 7 de la «Loi relative à la Division Horizontale» ainsi que dans ses  statuts ».
[5] Le Tribunal Supremo est la plus haute juridiction d’Espagne, l’équivalent de la Cour de Cassation