Un récent arrêt européen rappelle que ne peuvent être déposées des marques faisant référence à des organisations criminelles, même s’il s’agit de structures comme la Mafia italienne, dont le cinéma, la littérature ou la musique ont pu véhiculer une image romantique bien éloignée de la réalité.

Fin 2006, la société espagnole « La Honorable Hermandad, S.L. »¹ présenta une demande d’enregistrement² de la marque figurative « La Mafia se sienta a la mesa » ³ (ci-après, la « Marque »),  qui fut accordée le 20 décembre 2007. Dès lors, cette marque distinguait une chaîne de restaurant qui compte aujourd’hui plus de 30 établissements franchisés en Espagne.

Cela n’a pas du tout fait rire la République Italienne qui, le 23 juillet 2015, présenta devant l’EUIPO une demande en nullité, alléguant principalement que la Marque était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Selon les pouvoirs publics italiens,  le terme « La Mafia » faisait indéniablement écho à une organisation criminelle. En outre, elle estimait que la manipulation de l’image positive de la gastronomie italienne pour l’associer à cette organisation avait pour effet de banaliser ses actes perpétrés en Italie comme dans le reste du monde.

L’EUIPO fit droit à la demande de l’Italie dans une décision du 27 octobre 2016 et rejeta le recours présenté par le titulaire de la Marque contre sa décision précédente.

Dans sa décision, l’EUIPO estima que le terme « La Mafia », eu égard à la position et à la place qu’il occupait dans la Marque, était un élément dominant. Soulignant qu’il s’agissait d’une organisation criminelle que le gouvernement italien avait combattue, elle rappela que la lutte contre le crime organisé était également l’un des objectifs principaux de l’Union Européenne. En conséquence, l’EUIPO, en tant qu’organisation européenne, se devait d’adopter une position stricte pour protéger les valeurs essentielles de l’Union Européenne.

En outre, la décision précisa que l’atteinte à l’ordre public devait être évaluée au regard de la perception du public dans toute partie de l’Union Européenne, étant entendu que la nullité devait prospérer même dans le cas où les motifs de cette nullité existeraient seulement sur une partie du territoire européen.

L’EUIPO conclut son analyse en relevant que la Marque faisait la promotion de cette organisation criminelle et, après examen des éléments dans leur ensemble, l’élément « La Mafia » était banalisé, ce qui avait pour effet d’atténuer sa gravité et transmettait un message de bienveillance et de convivialité  influencé par sa fréquente utilisation dans la littérature et le cinéma.

Le Tribunal de l’Union Européenne (Ci-après, le « Tribunal ») ne s’est pas non plus laissé convaincre par les arguments présentées par la demanderesse, et a confirmé la décision de l’EUIPO.

Ainsi, face à l’argument selon lequel l’organisation connue sous le nom de « La Mafia » ne figurait pas sur la liste des personnes et des groupes terroristes liés aux mesures spécifiques de lutte contre le terrorisme utilisée par l’EUIPO pour illustrer l’interdiction de déposer des marques contraires à l’ordre public, le Tribunal affirme que cette liste n’est ni énumérative ni exhaustive.

Le principal axe de défense de la Marque consistait à affirmer que celle-ci devait être considérée dans son ensemble et que, dès lors, au vu des autres éléments qui la composent, le public comprenait qu’il s’agissait d’une forme de parodie ou de référence à la trilogie du film Le Parrain (notamment, concernant les valeurs familiales et le corporatisme qui y sont mis en scène) sans aucune volonté d’offenser quiconque. Cependant, le Tribunal, qui n’a remarqué aucun élément en rapport avec la trilogie, ne l’estimant pas non plus intrinsèquement liée à la Marque, a confirmé le critère retenu par l’EUIPO dans la mesure où l’élément « La Mafia« , par sa position, sa disposition et sa taille, prime sur le reste. De surcroît, le Tribunal a considéré que la présence de la phrase « se sienta a la mesa«  est perçue par une grande partie du public comprenant l’espagnol dans le sens de « partager un repas » ce qui dote une organisation criminelle de bienveillance et de décontraction et banalise ainsi des activités particulièrement graves.

De son côté, la demanderesse affirmait que les biens et services désignés par la Marque litigieuse n’étaient pas « communicants », c’est-à-dire des services qui ont vocation à être utilisés pour transmettre un message à autrui et que son dépôt n’avait aucunement pour objet d’insulter, d’offenser ou d’attaquer quiconque, ajoutant que de nombreuses marques italiennes contenant cette mention sont déposées et produisent leurs effets.

Cependant, le Tribunal a rappelé que le régime des marques de l’Union Européenne est un système autonome. De ce fait, l’EUIPO, et, le cas échéant, le juge du Tribunal, ne sont pas liés par les décisions adoptées au niveau des Etats membres, bien qu’elles puissent être prises en considération.

Enfin, le Tribunal a estimé que, pour l’examen de la nullité ou du rejet, le public pertinent ne peut pas être limité à celui à qui les biens et services sont dirigés directement et qui font l’objet de la demande de dépôt, mais aussi à d’autres personnes, qui, sans être les cibles de ces produits, courent le risque d’être confrontés accidentellement à ce signe. Le Tribunal a estimé qu’il convient de prendre en compte tant les circonstances communes à l’ensemble des Etats membres de l’Union que les circonstances particulières des Etats considérés individuellement et pouvant influencer la perception du public situé sur tout le territoire. Ainsi, le Tribunal a considéré que la Marque litigieuse est choquante ou de nature à offenser non seulement pour les victimes de cette organisation et de leurs familles, mais aussi pour « toute personne qui, sur le territoire de l’Union, est mise en présence de la marque et possède des seuils moyens de sensibilité et de tolérance « et qu’en conclusion la Marque doit être déclarée nulle.

Il se peut que dans un pays comme le nôtre, dans lequel nous pouvons nous vanter d’avoir le sens de l’humour et de savoir faire des blagues à propos des sujets les plus sensibles, une telle décision nous paraisse un peu exagérée, mais comment réagirions-nous si, en nous promenant à Bayonne, nous croisions une taverne typique du Pays Basque qui s’appellerait, par exemple, « Chez ETA »?

Claudia Ambrós Biern

c.ambros@mbavocats.eu

www.mbavocats.eu


¹ Aujourd’hui connue sous la dénomination « La Mafia Franchises, S.L. », partie demanderesse dans la procédure

² Le dépôt fut publié au Journal Officiel de l’EUIPO 24/2007.

³ En français, « La Mafia se met à table« .

 Marque numéro 5510921.

 Le dépôt fut obtenu pour les catégories 25 (chaussure, prêt-à-porter,…), 35 (conseil et accompagnement dans la direction d’entreprise,…) et 43 (service de restauration) de la Classification de Nice.

 European Union Intelectual Property Office -Office de l’Union européenne pour la Propriété Intellectuelle, en charge de la gestion des marques de l’UE et des dessins et modèles communautaires déposés

 Article 7, paragraphe 1, lettre f) du Règlement nº 207/2009 (actuellement, article 7, paragraphe 1,  lettre f du Règlement 2017/1001.

 Position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue  de lutter contre le terrorisme.

 « Se met à table«