Par un arrêt du 12 juin 2018 (affaire C-163/16), la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur le caractère protégeable de la marque n°0874489, enregistrée en 2010 par Monsieur Louboutin auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle.

La particularité de cette marque vient de son descriptif : « la couleur rouge (Pantone 18-1663TP) appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée (le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence l’emplacement de la marque) » :

semelle rouge louboutin

La société Van Haren, exploitant aux Pays Bas des commerces de détail de chaussures, a commercialisé en 2012 des chaussures à talons hauts dont la semelle était revêtue d’une couleur rouge. Monsieur Louboutin a saisi les juridictions néerlandaises d’une action en contrefaçon de sa marque contre la société Van Haren. Cette dernière s’est défendue en alléguant que la marque enregistrée par Monsieur Louboutin était constituée exclusivement par la forme qui donne une valeur substantielle au produit, une telle marque étant alors nulle en application de l’article 3.1. e) i) de la Directive rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

La juridiction néerlandaise a estimé que la marque litigieuse, consistant en une couleur apposée sur la semelle d’une chaussure qui coïncide en conséquence avec un élément du produit, pouvait effectivement tomber sous le coup de l’article précité de la Directive et donc encourir la nullité.

Compte tenu de cette réserve, la juridiction nationale a décidé de poser à la Cour de Justice une question préjudicielle en interprétation de l’article 3.1. e) i) de la Directive. La juridiction néerlandaise a interrogé la Cour sur la notion de « forme » au sens de la Directive afin de déterminer, en substance, si un signe consistant en une couleur appliquée sur la semelle d’une chaussure à talon haut était constitué exclusivement par la « forme ».

En premier lieu, la Cour rappelle qu’en l’absence de toute définition dans la Directive de la notion de « forme », la détermination de la signification de ce terme doit être établie au sens habituel de celui-ci dans le langage courant, à savoir, comme désignant un ensemble de lignes ou de contours qui délimite le produit dans l’espace. En l’espèce, la Cour constate qu’une couleur en elle-même, sans délimitation dans l’espace, ne pourrait constituer une forme.

En second lieu, la Cour estime qu’il importe peu que la forme du produit ou d’une partie de celui-ci joue un rôle dans la délimitation de la couleur dans l’espace, dès lors que l’enregistrement de la marque ne vise pas à protéger cette forme mais uniquement l’application d’une couleur à un emplacement spécifique du produit. C’est exactement le cas de l’espèce, d’autant plus que la description de la marque indique expressément que le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque, mais est seulement représenté pour mettre en évidence l’emplacement de la couleur rouge visée par l’enregistrement.

Cette solution était loin d’être évidente, d’autant que l’avocat général avait adopté une position différente dans ses conclusions estimant qu’une marque telle que celle de Monsieur Louboutin devait être déclarée nulle. Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour mais elles sont souvent suivies par cette dernière.

Cet arrêt est donc essentiel et devrait définitivement mettre un terme aux contentieux existant au sein de l’Union Européenne à l’encontre de la semelle rouge Louboutin. Il conforte notamment l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2018 qui a précédé la Cour de Justice en validant la marque française de Monsieur Louboutin identique à la marque déposée au Benelux et objet de la procédure aux Pays-Bas. Notons à cet égard que les juridictions américaines avaient déjà reconnu la validité de la marque Louboutin en 2012 dans un litige avec Yves Saint Laurent.

D’une façon plus générale, cet arrêt de la Cour de Justice confirme qu’une couleur appliquée sur une partie d’un produit est protégeable en tant que marque.

Maud Thiry

M&B avocats