Imaginons la conversation typique entre deux personnes habitant un bâtiment en copropriété d’une grande ville espagnole, par exemple Barcelone. La cité est tellement victime du succès de son image internationale, que l’échange entre voisins ne porte pas sur la pluie ou le beau temps mais plutôt sur les appartements exploités à des fins touristiques.

Voisin du 1-A : « Vous avez obtenu une licence pour exploiter votre appartement comme logement touristique. Je ne resterai pas les bras croisés et prendrai des mesures pour combattre la gêne occasionnée… »

Voisin du 2-B : « J’ai acheté un bien immobilier à prix fort dans l’unique objectif de l’exploiter comme appartement touristique. Ni vous, ni la copropriété de l’immeuble ne m’en empêcherez! »

Dans le cadre de cet article, nous partirons du postulat que la location de courte durée que propose dans son appartement le voisin du 2-B, remplit les exigences réglementaires (licence, enregistrement…), quels sont les mécanismes dont dispose une copropriété pour remédier aux préjudices engendrés par ce type d’activité? En d’autres termes, l’intérêt individuel prime-t-il sur l’intérêt collectif?

De manière générale, les copropriétés disposent de deux options¹ pour empêcher l’exploitation d’un appartement touristique en leur sein :

a)    approuver l’interdiction ou la restriction de cette activité dans le règlement de copropriété (ci-après, le « Règlement »).

b)     exercer l’action de cessation d’activité, si ladite activité de location à des fins touristiques provoque un dommage à la copropriété.

Nonobstant, pour mieux comprendre la situation, il convient de tenir compte du fait que les conditions des deux mécanismes diffèrent selon le lieuoù est situé l’immeuble, qui détermine la loi applicable. En effet, les dispositions régissant la copropriété peuvent être énoncées par les législations de certaines régions² (« comunidades autónomas« ), comme c’est le cas en Catalogne. Dans ce cas, la loi régionale prévaut sur la règlementation étatique qui est appliquée uniquement de manière subsidiaire.

a) L’interdiction statutaire.

Si la première option est choisie, il ne faut pas perdre de vue que l’approbation et la modification du Règlement sont soumises à un système très restrictif :

(i) selon le système étatique, l’unanimité³ des copropriétaires est requise;
(ii) en ce qui concerne la législation catalane, qui régit les copropriétés catalanes, l’accord des 4/5 des voix est exigé.

Même si la loi régionale est plus souple (4/5 des voix vs. unanimité), en pratique, lorsqu’une copropriété souhaite faire modifier le Règlement par l’adoption d’une résolution interdisant l’activité de location d’un appartement à des fins touristiques, il est quasiment impossible que l’assemblée d approuve une telle disposition si un des copropriétaires a l’intention d’exploiter son bien à des fins touristiques.

Par ailleurs, dans la majorité des cas, la question de l’autorisation ou non de l’activité de location d’appartements touristiques par les copropriétés se posera (i)bien au moment de la constitution de ladite copropriété et de la subséquente adoption du Règlement (qui est en général rédigé par le promoteur/constructeur) ou, (ii)de façon préventive, et en ayant pris conscience des dérangements que peut supposer l’installation dans l’immeuble d’un appartement touristique, lorsqu’il n’y aura aucun copropriétaire intéressé par l’exploitation de cette activité et qu’il sera décidé d’interdire cette pratique, afin d’éviter un éventuel conflit ultérieur.

Ce débat fait ressortir le fragile équilibre entre l’intérêt collectif (celui de la copropriété) et les droits de chacun des copropriétaires sur les parties privatives dont ils sont détenteurs. La réglementation (qu’elle soit régionale ou nationale) reconnaît la validité de prévoir ce type de clauses sous réserve que leur approbation n’implique pas de discrimination injustifiée à l’égard d’un des membres. Pour sa part, la jurisprudence rappelle la nécessité d’harmoniser les intérêts de tous les copropriétaires et occupants d’un immeuble déterminé.

En Catalogne, étant donné que l’approbation des modifications du Règlement ne requiert pas l’unanimité et que de nombreuses copropriétés ont traité ce sujet, la question a suscité une jurisprudence abondante et variée. Certains arrêts rendus avant la prolifération des locations touristiques ont déclaré sans effet l’accord adopté majoritairement sans le consentement express du copropriétaire intéressé, au motif que l’usage et la jouissance du bien immobilier ne peuvent être diminués par un accord majoritaire des copropriétaires et sans le consentement du propriétaire du bien à des fins touristiques.

A partir de 2015, les tribunaux catalans ont confirmé leur position de façon polémique: l’interdiction faite par le Règlement de louer un des appartements à des fins touristiques n’est pas opposable aux copropriétaires qui auraient commencé à exercer l’activité, car la décision d’acquérir le bien en copropriété peut avoir été motivée par le projet de l’exploiter. Il convient donc de considérer que « conformément au régime de copropriété, l’intérêt de chaque copropriétaire est plus fort que l’intérêt général de la copropriété et les majorités ne peuvent pas éliminer les droits et facultés acquis. » La question non encore résolue par la jurisprudence est de savoir ce qu’on entend par début de l’activité (ex. la simple demande de licence touristique ou la location effective).

Toujours dans la même ligne, un important arrêt du Tribunal Supérieur de Catalogne en date du 13 septembre 2018, a indiqué qu’une modification du Règlement approuvant l’interdiction d’exploitation des appartements à des fins touristiques ne saurait concerner les appartements qui étaient déjà exploités à de telles fins, ni interdire aux copropriétaires ayant acquis lesdits appartements antérieurement à la modification du Règlement et qui auraient voté contre la modification de les louer comme appartements touristiques.

b) L’action aux fins de cessation de l’exploitation à des fins touristiques de l’un des appartements

L’action intentée devant les tribunaux en vue de la cessation de la location d’un appartement à des fins touristiques, est soumise au pouvoir d’appréciation des juges. Avant toute action judiciaire, le président de la copropriété doit être notifié par un ou plusieurs copropriétaires par écrit de la gêne occasionnée par l’activité et le cas échéant, mettre en demeure le copropriétaire-bailleur touristique afin qu’il y mette fin. En cas persistance de la gêne et des problèmes de cohabitation, il sera nécessaire de convoquer une assemblée générale des copropriétaires pour qu’elle décide d’initier les actions judiciaires opportunes aux fins de cessation de l’exploitation touristique.

L’assignation, accompagnée de la mise en demeure et du procès-verbal de l’assemblée des copropriétaires approuvant et autorisant le recours à une procédure judiciaire, sera analysée par les tribunaux qui émettront leur décision en prenant en compte les circonstances de l’espèce, et une attention particulière sera accordée à aux agissements inciviques et graves « qui outrepassent la simple incommodité et se caractérisent par leur durée et leur intensité, ainsi que par une conduite répréhensible qui affecte le droits essentiels des membres de la copropriété tels que les droits économiques, le droit à la santé ou au repos (…)« . « La cessation de l’activité ne peut être convenue que si de graves perturbations affectent la vie en communauté¹⁰. » Par conséquent, les preuves produites par la copropriété et susceptibles de prouver le préjudice subi seront essentielles, étant précisé que les simples témoignages des occupants de l’immeuble affectés par la situation sont admis.

Sans aucun doute, dans une ville touristique comme Barcelone, la meilleure solution est de traiter le conflit de façon préventive, c’est-à-dire, au moment de l’adoption du Règlement ou tant qu’aucun des copropriétaires n’exploite touristiquement son appartement. En dehors de ce scénario, la résolution du conflit en plus d’être conflictuelle, est d’une certaine manière, imprévisible.

 

Claudia Ambrós Biern

M&B Avocats

 


¹ Loi générale: Article 7.2 de la Loi 49/1960 du 21 juillet, de Copropriété (« LC »): « Il n’est pas permis, au copropriétaire ou à l’occupant de l’appartement ou du local, de développer dans l’appartement ou dans le reste de l’immeuble des activités prohibées dans le règlement de copropriété, et qui pourraient endommager l’immeuble ou qui contreviendraient aux dispositions générales sur des activités gênantes, insalubres, nocives, dangereuses ou illicites. Le président de la copropriété, de sa propre initiative ou à celle des copropriétaires ou des occupants, mettra en demeure la personne réalisant les activités prohibées dans ce paragraphe de les faire cesser immédiatement sous peine d’actions judiciaires (…) »
Loi régionale, applicable en Catalogne : Article 553.40 de la Loi 5/2006, du 10 mai, du cinquième livre du Code civil de Catalogne, relatif aux droits réels (« CcCat »): « Les copropriétaires et les occupants ne peuvent réaliser dans les zones privatives ni dans le reste de l’immeuble, des activités contraires à la bonne cohabitation dans la copropriété ou qui détériorent ou mettent en péril l’immeuble. Ils ne peuvent pas non plus mener à bien les activités que le règlement de copropriété, la réglementation urbanistique ou la loi excluent ou interdisent de forme expresse. »
² L’Espagne est un État dit « autonomique » composé de 17 régions autonome (« Comunidades Autónomas »).
³ Article 17.6 LC.
Article 553-26 2a) CcCat.
LC et article 553 du CcCat.
Arrêt section 10 AP de Madrid du 10 novembre 2017.
Arrêt du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne du 25 mars 2013; 20 février 2012, Arrêt section 19 de la AP de Barcelone du 21 mai 2015. « Les accords qui réduisent les facultés d’usage et de jouissance d’un quelconque copropriétaire requièrent qu’ils soient consentis expressément par celui-ci. »
Arrêt du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne.
Accord pouvant être adopté à la majorité simple.
¹⁰ Arrêt du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne du 12 juin 2017.