Par un arrêt rendu en assemblée plénière en date du 15 novembre 2024¹, la Cour de cassation consacre le principe suivant : une décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée (« SAS »), prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.

Cet arrêt, attendu par la doctrine et de nombreux praticiens, est important car il apporte des limites au principe de la liberté statutaire régissant la SAS, devenue en 2024 la forme de société la plus utilisée en France.

 

Rappel sur la SAS et son fonctionnement essentiellement régi par la « liberté statutaire »

Le droit français permet de constituer une société commerciale sous différentes formes sociales : société à responsabilité limitée, société anonyme, SAS, …

En 2024, la SAS est devenue la société la plus créée en France, devant la société à responsabilité limitée, notamment du fait de la souplesse de son fonctionnement, à l’inverse d’autres formes sociales.

En effet, la SAS est une forme sociale particulière car, si le code de commerce lui prévoit un régime spécifique aux articles L. 227-1 et suivants du code de commerce², ces dispositions renvoient néanmoins pour de nombreux aspects du fonctionnement de la SAS à ce qui est prévu dans les statuts (et donc, par conséquent, à ce qui a été négocié entre les associés lors de la rédaction ou de la modification des statuts).

A titre d’exemples, le code de commerce prévoit que :

  • les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés³(les associés pouvant ainsi, dans une certaine limite, prévoir que certaines décisions relèveront de la compétence de la collectivité des associés), ainsi que leurs formes et conditions ;
  • certaines attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes doivent être exercées collectivement par les associés (exemples : augmentation de capital, amortissement, réduction de capital, fusion, …) mais dans les conditions prévues par les statuts .

C’est pourquoi la SAS est connue du fait de sa « liberté statutaire ».

Cette forme sociale particulière ne connaît d’ailleurs pas nécessairement d’équivalent dans d’autres systèmes juridiques étrangers (à titre d’exemple, le droit espagnol ne connaît pas ce type de forme sociale, contrairement à la société à responsabilité limitée (sociedad limitada) ou à la société anonyme (sociedad anónima)).

L’apport de l’arrêt du 15 novembre 2024 : une limite imposée à la liberté statutaire en matière de règles d’adoption d’une décision collective d’associés

Néanmoins, par cet arrêt en date du 15 novembre 2024, la Cour de cassation a imposé une limite au principe de la « liberté statutaire » régissant la SAS en consacrant le principe suivant :

« une décision collective d’associés d’une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite »

La Cour de cassation, visant les articles 1844 al.1 et 1844-10 al. 2 et 3 du code civil ainsi que l’article L. 227-9 al. 1 et 2 du code de commerce, motive sa position en indiquant que « 10. Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. 11. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires ». Elle précise enfin que « la liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s’exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe 10 ».

Pour plus de contexte, dans les faits de l’espèce, le débat visait une clause des statuts d’une SAS prévoyant que « les décisions collectives des associés étaient adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Or, lors d’une assemblée générale extraordinaire, les associés ont décidé d’augmenter le capital par émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés (c’est-à-dire que les associés ne pouvaient pas souscrire à l’augmentation de capital) et de réserver l’émission des nouvelles actions au président de la société, selon le résultat des votes suivant : 229.313 voix pour (46%) et 269.185 voix contre (54%). La « majorité du tiers », prévue par les statuts, était donc atteinte, alors même qu’une majorité de 54% des voix avait voté contre. L’un des associés a ainsi saisi les tribunaux afin d’obtenir la nullité de la délibération litigieuse se fondant sur une telle clause statutaire. Ce contentieux a valu des positions divergentes entre la cour d’appel de Paris (acceptant la validité de la délibération se fondant sur une telle clause statutaire – comme cour d’appel, puis en résistant comme cour d’appel de renvoi après une cassation de son arrêt par la chambre commerciale de la Cour de cassation) et la Cour de cassation (refusant la validité de la délibération se fondant sur une telle clause statutaire – la chambre commerciale cassant l’arrêt d’appel, puis, réunie en assemblée plénière, cassant l’arrêt de la cour d’appel de renvoi et statuant au fond). La Cour de cassation a ainsi finalement fait prévaloir sa position.

Concrètement, les apports de cet arrêt sont les suivants :

  • la liberté statutaire de la SAS connaît des limites en matière de règles d’adoption d’une décision collective d’associés puisque la Cour de cassation érige le principe suivant : une décision collective, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne pourra être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ;
  • en pratique, les clauses litigieuses visées sont les clauses pouvant être qualifiées de « minorité », c’est-à-dire celles permettant à une minorité de voix d’adopter une décision collective, malgré une majorité des voix en défaveur. Les décisions collectives prises à la majorité relative (c’est-à-dire la majorité la plus élevée des voix, bien que ne réunissant pas plus de 50% des voix) semblent également visées ;
  • ce principe s’applique aussi bien :
    • aux décisions collectives relevant de la compétence des associés du fait de la loi mais dont les modalités d’exercice doivent être prévues dans les statuts (exemple : augmentation de capital)
    • qu’aux décisions collectives définies comme telles par les associés dans les statuts (et dont les formes et conditions doivent également être prévues dans les statuts) ;
  • il semble d’ailleurs que ce principe ne semble pas s’appliquer seulement à la SAS mais également à toutes les autres formes sociales ;
  • une clause ne respectant pas ce principe sera « réputée non écrite », c’est-à-dire que ses stipulations seront privées d’effet. En d’autres termes, il sera considéré qu’aucune règle de majorité pour adopter la décision concernée n’aura été prévue dans les statuts et, en conséquence, qu’une telle décision ne devrait probablement pouvoir être adoptée qu’à l’unanimité des associés. La décision encourrait la nullité ;

Les conséquences pratiques (rareté des clauses litigieuses et négociation entre associés) et une solution alternative (action de préférence)

Si la solution retenue par la Cour de cassation est importante, ses conséquences sont à relativiser car, dans la pratique, les clauses litigieuses visées (clause de minorité/majorité relative) nous semblent rarement introduites dans les statuts et ne sont pas une pratique de marché.

Surtout, dans le cas où les associés d’une SAS souhaitent accorder des droits spécifiques à un associé, la pratique utilise un autre mécanisme prévu par le droit français : les actions de préférence. Une action de préférence est une action dont les droits sont définis par les statuts et qui peut être assortie ou non d’un droit de vote ou de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Il est donc possible de prévoir un droit de vote multiple attaché à une action de préférence. Un associé minoritaire, au regard de sa participation au capital, pourrait ainsi valablement adopter une décision du fait de son droit de vote multiple.

 

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Alexandre Pelletier

M&B Avocats


¹ Cour de cassation, assemblée plénière, 15 novembre 2024, n°23-16670.

² Ce régime renvoie également partiellement aux dispositions applicables aux sociétés anonymes (art. L. 227-1 al. 3 du code de commerce).

³ Art. L. 227-9 al. 1 du code de commerce.

Art. L. 227-9 al. 2 du code de commerce.

Art. L. 228-11 et suivants du code de commerce.