Compte tenu du nombre croissant de plateformes numériques ces dernières années, la Commission Européenne a présenté, le 9 décembre dernier, un projet de directive comprenant une série de mesures visant à renforcer les droits des travailleurs de ces plateformes et clarifier leur situation professionnelle. La décision de Bruxelles s’inscrit dans un contexte où plus d’une centaine de décisions ont déjà été rendues par les tribunaux des Etats membres et où de nombreux litiges sont en attente d’une décision.

Concrètement, l’apparition d’entreprises comme Uber Eats, Deliveroo ou Glovo ont révolutionné le marché du travail et ont suscité d’importants débats devant les tribunaux sur la question de savoir si la relation juridique d’un livreur avec une entreprise qui développe une plateforme numérique de livraison de repas est ou non une relation de travail.

Ces entreprises avaient pour habitude de faire régulièrement appel à des travailleurs indépendants afin d’effectuer les livraisons, ce qui leur permettait de réaliser d’importantes économies en ne payant pas de cotisations à la Sécurité Sociale et en accordant par conséquent moins de droits aux livreurs que s’ils étaient salariés.

L’arrêt rendu par la Chambre Sociale du Tribunal Supremo s’est prononcé en faveur du caractère salarié de la relation de travail entre un livreur qui fournissait ses services en tant que travailleur indépendant et l’entreprise développant la plateforme numérique Glovo.

Dans sa décision, la plus haute juridiction a conclu que les éléments caractéristiques d’une relation de travail étaient réunis, après avoir relevé l’existence des critères établis à l’article 1 du TRET (Code du travail espagnol), c’est-à-dire le lien de subordination et le travail pour le compte de l’entreprise.

Après avoir analysé la relation de travail, le Tribunal Supremo a estimé que la liberté du livreur de refuser des clients, de choisir son heure de livraison et de pouvoir travailler pour différentes plateformes était fictive. Ces arguments étaient avancés par la société Glovo pour démontrer que les critères du lien de subordination et du travail pour le compte de l’entreprise n’étaient pas remplis. Selon le Tribunal Supremo, le livreur est soumis à un système de notation qui varie en fonction de sa disponibilité, cela signifie que sa note diminue s’il refuse des commandes dans des tranches horaires où la demande est la plus forte, ce qui l’empêche d’accepter ou de refuser des clients ou de choisir la tranche horaire dans laquelle il travaillera.

De même, après avoir analysé les clauses du contrat qui unissait le livreur à Glovo, l’arrêt relève une série d’indices essentiels à l’appréciation du lien de subordination. Ainsi, il mentionne, entre autres, la géolocalisation du livreur par un GPS, les instructions de la société Glovo sur la manière de fournir les services ou le versement d’une rémunération au livreur pour le temps d’attente.

D’autre part, et en ce qui concerne le travail pour le compte de l’entreprise, la plus haute juridiction attire l’attention sur certains faits, et notamment les faits suivants : les services fournis, le mode de paiement et la rémunération des livreurs sont déterminés exclusivement par l’entreprise et non par le livreur, le livreur n’assume pas le risque lié à l’activité de l’entreprise, et ne perçoit pas les fruits de son travail étant donné que c’est Glovo qui s’en approprie les résultats.

La décision du Tribunal Supremo, qui fait jurisprudence, constitue une étape importante dans la longue bataille judiciaire dans laquelle les tribunaux de première instance en Espagne tranchent dans un sens ou dans l’autre.

L’importance de cette décision est telle qu’a été introduite, dans le Code du travail espagnol,  la vingt-troisième disposition additionnelle établissant une présomption de salariat dans le domaine des plateformes de livraison numériques. Toutefois, le manque de précision du texte, qui exige, pour que la présomption soit constituée, de démontrer que l’employeur exerce un pouvoir d’organisation, de direction et de contrôle directement ou implicitement via la gestion par algorithme du service ou des conditions de travail sur une plateforme numérique, sans préjudice de l’existence d’un lien de subordination et d’un travail pour le compte de l’entreprise, témoigne de la difficulté de mettre fin au débat, qui est encore loin d’être résolu, malgré son incidence sur les tribunaux qui devraient être plus enclins à reconnaître le caractère salarié de la relation juridique entre livreurs et plateformes numériques.

Nous devrons attendre de voir quelles mesures seront finalement adoptées par la Commission Européenne pour clarifier la situation professionnelle des livreurs des plateformes numériques qui, pour l’instant, continuent de générer des jurisprudences contradictoires en fonction de chaque cas particulier analysé.

Celia Juega

M&B Avocats