Après Reims, Grenoble, Bourges, Caen, Chambéry, c’est au tour de la cour d’appel de Paris d’entrer en opposition.

Par un arrêt du 16 mars dernier, les magistrats, après avoir opéré une appréciation in concreto de la situation d’une salariée, décident d’écarter le barème prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail, appelé plus communément « barème Macron ».

En effet, tout licenciement notifié depuis le 24 septembre 2017 et jugé sans cause réelle et sérieuse est encadré par un barème fixé en mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié et pouvant aller jusqu’à 20 mois de salaire.

L’objectif affiché des ordonnances Macron était d’assurer une sécurité juridique et une prévisibilité des conséquences d’un licenciement.

Cependant, selon certains plaignants, cette « barémisation » a un effet dissuasif, empêchant les salariés disposant de peu d’ancienneté ou se trouvant dans une situation précaire (notamment en CDD), de faire valoir leurs droits et d’obtenir une réparation adéquate et appropriée du préjudice subi compte tenu de l’absence de prise en compte des situations individuelles et d’une pluralité de critères.

L’argument communément mis en avant par les salariés pour s’opposer à l’application dudit barème consiste à soutenir que l’article L. 1235-3 du Code du travail est contraire aux normes internationales, et particulièrement à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) ainsi qu’à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui prévoient que la réparation doit être appropriée.

Cette question juridique divise les juridictions depuis l’entrée en vigueur de ce barème.

Si plusieurs conseils de prud’hommes avaient déjà manifesté leur opposition à la grille de dommages et intérêts en vigueur, la cour d’appel de Reims avait été la première à admettre que le juge puisse en exercer un contrôle « in concreto » et, le cas échéant, l’écarter.

Dans une circulaire du 26 février 2019 destinée aux procureurs près les cours d’appel, le ministère de la Justice avait demandé de l’informer des décisions rendues dans leur ressort ayant écarté l’application de l’article L. 1235-3 du Code du travail et de celles faisant l’objet d’un appel, afin d’intervenir en qualité de partie jointe.

Saisie pour avis par les conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse, la Cour de cassation a estimé en juillet 2019 que les dispositions légales relatives au barème sont compatibles avec les dispositions de la Convention de l’OIT précitée. Cependant, cet avis ne liant pas les juges, les décisions qui écartent l’application de la grille en vigueur ont continué à se multiplier.

Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de Grenoble avait donné des indices quant aux éléments à prendre en compte dans l’appréciation du préjudice subi, à savoir « les conséquences morales du licenciement et son impact financier notamment, sans que cette liste soit exhaustive, en considération d’une période de chômage plus ou moins longue, de la baisse de revenus, de l’allongement du temps de trajet pour se rendre sur un nouveau lieu de travail, de la nécessité de déménager, d’une situation de handicap ou encore des charges de famille…. »

Quant à la cour d’appel de Paris, saisie pour la première fois de la question en septembre 2019, elle s’était rangée à l’avis de la Cour de cassation, en appliquant strictement le principe de plafonnement posé par le barème, sans exclure la possibilité d’y déroger au cas par cas. Un arrêt d’une autre chambre du mois suivant n’avait, quant à lui, fait aucune référence à la possibilité de l’écarter.

Et pourtant ! Un an et demi plus tard, et pour la première fois à notre connaissance, cette juridiction se départit de la grille d’indemnisation légale.

Dans l’affaire qui nous intéresse, la salariée, coordinatrice d’une mutuelle, statut cadre, avait été licenciée pour motif économique en 2017, après près de quatre ans au service de son employeur. Jugeant son licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle estimait à près de 40 000€ la réparation de son préjudice financier et moral, soit neuf mois de salaire. Cette somme était nettement supérieure à celle découlant de l’application du barème précité, lequel eu égard à son ancienneté et à la taille de l’entreprise situait l’indemnité dans une fourchette comprise entre trois et quatre mois de salaire.

Se fondant sur son âge (53 ans au moment de la rupture, 56 au jour de la décision), sa situation de demandeur d’emploi qui avait duré près de deux ans et engendré une perte de revenus de près de 32 000€, son ancienneté, sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et les conséquences du licenciement à son égard les magistrats s’affranchissent de la grille d’indemnisation pour lui octroyer la somme de 32 000€. En effet, selon cette dernière, en application du barème la salariée pouvait prétendre au maximum à une somme de 17 600€, soit quatre mois de salaire, ce qui, selon les juges du fond, couvrait à peine la moitié de son préjudice en termes de diminution des ressources financières depuis le licenciement.

L’indemnité octroyée est ici près de deux fois supérieure à celle qu’elle aurait perçu en application du barème.

Cette solution est marquante, par la prise en compte de l’âge de la plaignante, de sa perte de revenus, mais également en ce qu’elle concernait une salariée comptabilisant une ancienneté moyenne.

A notre sens, elle est à rapprocher de trois décisions :

  • un jugement du conseil des Prud’hommes de Troyes du 13 décembre 2018 fixant à 9 mois de salaire le montant de la créance, là où l’application du Code du travail n’aurait permis de d’obtenir qu’à une indemnité correspondant à quatre mois ;
  • un arrêt de la cour d’appel de Reims du 25 Septembre 2019 qui avait retenu que le préjudice de perte d’emploi dépend de l’impact de la perte d’emploi sur un salarié « compte tenu certes de son ancienneté mais aussi de son âge, de sa qualification professionnelle ou encore de sa situation personnelle et que l’indemnité dite adéquate ou la réparation appropriée du préjudice de perte d’emploi s’entend ainsi indemnisation d’un montant raisonnable, et non purement symbolique, en lien avec le préjudice effectivement subi et adapté à son but qui est d’assurer l’effectivité du droit à la protection du salarié» ;
  • une décision de la cour d’appel de Bourges, en date du 6 Novembre 2020 ayant confirmé le jugement de première instance octroyant une indemnité supérieure au barème à un salarié âgé de 59 ans au jour de son licenciement et comptabilisait cinq années d’ancienneté au sein de l’entreprise, eu égard aux difficultés dont il justifiait de retrouver un emploi dans un marché du travail en tension.

L’intervention d’une décision la Cour de cassation (et non d’un avis) serait donc salutaire afin d’apporter plus de sécurité juridique à cette question. En tout état de cause, à notre sens, l’arrêt de la cour d’appel de Paris ne remet pas en cause, à ce stade, la légalité du barème.

 

Elodie Loriaud et Coline Montangerand

M&B Avocats