La juridiction de seconde instance de Gérone a condamné une société d’assurance à indemniser le préjudice subi par une pizzeria qui s’est vue obligée de fermer ses portes du fait de la législation adoptée par les autorités espagnoles en raison de la situation sanitaire. La décision ordonne à l’assureur de verser au restaurateur l’indemnité maximale convenue dans la police d’assurance en cas de paralysie de son activité¹.
En Espagne, les entrepreneurs ont moins le réflexe qu’en France de souscrire une assurance garantissant les pertes professionnelles en cas de paralysie ou de forte réduction de leur activité. Il n’empêche toutefois qu’un certain nombre de professionnels ont signé des polices d’assurance qui incluent la couverture des pertes d’exploitation liées à des circonstances qui ne leur sont pas imputables.
Avec l’arrivée de la pandémie liée à la COVID-19, l’exécutif espagnol a promulgué des normes obligatoires interdisant à certains secteurs d’exercer leur activité ou en réduisant drastiquement les conditions d’exercice. Au vu de cette situation, les professionnels (en particulier dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie qui ont été et continuent à être parmi les plus touchés) qui avaient souscrit une police d’assurance dite « de pertes d’exploitation » ou encore « de paralysie de l’activité » ont informé leurs assureurs de la survenance d’un sinistre et réclamé leur indemnisation au titre de la garantie souscrite. A notre connaissance, l’immense majorité des assureurs ont rejeté ces demandes pour des raisons diverses et variées.
Certains de ces entrepreneurs (dont certains clients de notre cabinet) ont porté le différend devant les tribunaux espagnols. Du fait de l’absence en Espagne de procédures rapides comme peut l’être le référé en France, les décisions déjà rendues sur ce sujet chez notre voisin ibérique sont très peu nombreuses. C’est pourquoi la décision de la cour d’appel de Gérone, reconnaissant pour la première fois le droit à la couverture des entrepreneurs pour la paralysie de l’activité liée à la pandémie de la COVID-19, apparait comme une lueur d’espoir pour ces professionnels.
En effet, dans cette décision récente, les juges établissent qu’il est inutile de distinguer si la cause de l’interruption de l’activité est le virus ou si ce sont les mesures gouvernementales qui, sous forme de normative obligatoire, ont imposé la fermeture des commerces et/ou l’application de restrictions limitant leur activité (argument qui avait aussi été évoqué par AXA en France lorsqu’elle s’était vue demander l’application d’une couverture similaire par la Maison Rostang, et qui est ici balayé par les juges).
La décision s’attache seulement à déterminer s’il y a lieu à application de la couverture en fonction de la rédaction de la police d’assurance et en particulier du caractère limitatif ou non de la clause. Si la clause est jugée de nature limitative, elle devra respecter deux conditions établies par la loi espagnole du contrat d’assurance (la « LCS » ²) pour être valable.
En l’espèce, la clause est considérée comme limitative par les magistrats, ce qui signifie que, selon l’article 3 de la LCS, pour être valide et produire des effets, elle doit d’une part être mise en évidence de manière spéciale dans la police d’assurance (et cela, aussi bien dans les conditions générales que dans les conditions particulières, en caractères gras, soulignés, de plus grande taille, etc) et, d’autre part, avoir été expressément acceptée par l’assuré. La charge de la preuve du fait que la clause remplit ces deux conditions pèse sur l’assureur.
La condition d’acceptation expresse de la clause par l’assuré est d’autant plus importante pour les magistrats qu’elle équivaut au fait que l’assuré en a conscience et assume cette limitation de ses droits, limitation qui ne doit pas entrer en conflit avec ses attentes raisonnables en termes de couverture de ce genre de risque. Le tribunal prend en compte que l’assuré est en général un entrepreneur profane en matière d’assurance, et que la limitation de la couverture ne doit pas avoir pour effet de vider de sa substance la protection qu’il croyait avoir souscrite. En effet, la décision de la cour d’appel de Gérone rappelle un arrêt du Tribunal Supremo espagnol (équivalent de la Cour de cassation) qui établit qu’ «il est nécessaire que l’assuré ait connu les limitations introduites dans le contrat (c’est-à-dire qu’il ne soit pas surpris par ces dernières) et qu’elles soient raisonnables, c’est-à-dire qu’elles ne vident pas le contrat de sa substance et qu’elles ne fassent pas échec à son objectif économique et, par conséquent, qu’elles ne le privent pas de sa cause »³.
Cette dernière précision est d’une importance fondamentale, et elle pourra à notre sens être invoquée par de nombreux assurés. Il nous semble en effet évident qu’à l’heure de la souscription d’une police d’assurance pour couvrir ses pertes d’exploitation, un entrepreneur raisonnable n’anticipe pas que cette même assurance ne s’applique pas dans le cas où le sinistre à l’origine de la perte n’a pas été expressément prévu par le contrat d’assurance, ou comme dans d’autres cas que nous avons eu à traiter, qu’il soit provoqué par des dommages matériels (excluant donc une pandémie et ses effets qui se manifestent par des législations obligeant les commerces à stopper ou à réduire considérablement leur activité en leur imposant des restrictions en termes d’horaires ou d’occupation).
Au regard de cette nouvelle décision judiciaire en lien avec le contexte actuel, nous encourageons tous les assurés ayant vu leur sollicitude de couverture rejetée par leurs assureurs à analyser l’opportunité d’initier une action en justice pour obtenir l’indemnisation à laquelle nous considérons qu’ils ont droit.
Virginie Molinier
M&B Avocats
¹ SAP Gérone 59/2021 du 3 février.
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