La Audiencia Provincial de Madrid (juridiction équivalente en France à la Cour d’appel, soit en seconde instance) (ci-après la « AP de Madrid« ) a émis une décision qui renforce un courant jurisprudentiel espagnol qui considère que la location de chambre en Espagne n’est pas soumise à la loi espagnole sur les baux (« Ley de Arrendamientos Urbanos« ) (ci-après, la « LAU« ) et par conséquent que les colocataires ne peuvent donc pas bénéficier de son statut protecteur.

Dans l’affaire soumise à l’AP de Madrid, le propriétaire d’un appartement conclut le 1er septembre 2016 un contrat de location avec un particulier pour une durée d’un an, et dans lequel il était convenu que le locataire partagerait les salles de bains et la cuisine avec les autres locataires de l’appartement. Pour proroger le contrat, les parties devaient se mettre d’accord et faire constater « expressément » la prorogation au moins trente jours avant la fin du contrat. Le 29 août 2017, le propriétaire demande au locataire de quitter sa chambre. Face au refus de ce dernier, le 20 septembre 2017 le propriétaire lui envoie alors une mise en demeure par courrier recommandé avec avis de réception et lui donne cinq jours pour quitter le logement.

Compte tenu du refus du locataire de quitter l’appartement, le propriétaire l’assigne devant le Tribunal de première instance de Madrid et sollicite son expulsion. Le Tribunal de première instance de Madrid, en vertu d’un jugement du 19 juillet 2018, donne raison au locataire qui se fondait sur l’article 9 de la LAU qui prévoyait une durée minimale de trois ans pour les baux à destination d’habitation¹. Le propriétaire interjette alors appel de ce jugement.

La question de droit soumise à l’AP de Madrid était celle de savoir si le contrat de location de la chambre était soumis au régime de protection de la LAU, selon lequel le locataire peut se prévaloir de la durée minimale d’un contrat de location de trois ans.

Par un arrêt du 28 mars 2019, l’AP de Madrid considère que la location de chambres n’est pas soumise aux dispositions de la LAU. Elle considère que le régime applicable à ce type de colocation est la volonté des parties et, à défaut, celui des articles 1542 et suivants du Code civil espagnol.

La AP de Madrid, après avoir rappelé que l’article 2 de la LAU, considère qu’on entend par location d’un logement « toute location d’une construction habitable dont l’objet principal est de satisfaire le besoin permanent de logement du locataire« , déclare que « cette caractéristique de satisfaction permanente des besoins de logement du locataire n’est pas applicable à la location d’une chambre qui ne garantit pas le bon déroulement de la vie domestique du locataire, et notamment l’intimité et les services qui sont actuellement considérés indispensables, et ne sont disponibles que sous une forme partagée« . Les juges en concluent que le contrat de location d’une chambre ne relève pas du champ d’application de l’article 2 de la LAU.

Ce courant jurisprudentiel laisse les nombreux locataires qui partagent un logement en Espagne, dépourvus de la protection juridique offerte par la LAU.

En effet, les magistrats, suivant un courant jurisprudentiel majoritaire², ont fait une interprétation restrictive de la notion juridique de « construction habitable« . Cette interprétation restrictive porte à notre sens atteinte au droit constitutionnel³ qu’est le droit au logement.

Cette jurisprudence ne semble pas tenir compte de la situation actuelle de nombreux espagnols qui en raison de l’écart entre, d’une part, le prix du logement et l’état du marché immobilier et, d’autre part, le niveau des salaires, sont obligés de partager un logement et ne peuvent négocier les contrats de location qui régissent leur situation.

C’est précisément pour répondre à cet usage de partage des logements, qui est de plus en plus courant, que le droit français a été réformé en 2014. La loi du 24 mars 2014, dite loi ALUR ou loi Duflot II, est venue réformer la loi du 6 juillet 1989 et a conféré à la colocation un statut à part entière en la définissant « comme la location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale, et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur.« 

Un objectif social de la loi ALUR était que les locataires se réunissent afin d’accéder à un logement confortable et à un prix raisonnable. Les pouvoirs publics ont rédigé des contrats types en fonction de si le logement est mis en location meublé ou vide, ce qui donne un cadre juridique certain. Ces contrats-types contiennent des clauses essentielles au contrat. Les parties sont bien évidemment libres de prévoir d’autres clauses particulières.

La durée minimale du contrat de colocation dépend du caractère meublé ou vide du logement et sera d’un ou trois ans respectivement.

Adrián Foulon
M&B Avocats

 


¹ Article 9 de la LAU dans sa version en vigueur à la date de la signature du contrat de location de chambre. La durée actuelle est de cinq ans.
² Sec. 14 AP de Madrid, sentencia 3-12-2006, nº 777/2006, rec. 383/200, Sec. 11 ª AP de Madrid Sentencia 26-09-2017, nº 315/2017, rec. 188/2017 o la Sec. 5 ª AP Vizcaya, Sentencia 21-07-2006, nº 368/2006, rec. 509/2005.
³ Art. 47 de la Constitution espagnole.
Fuentes-Lojo Rius, A.; «Medidas legales para una reforma de la Ley de Arrendamientos Urbanos», Revista Actualidad Civil, nº4, Ed. Wolters Kluwer, Abril 2018.
L. nº 2014-366, 24 mars 2014.
L. nº 89-462, 6 juillet 1989.
Art. 8-1 de la L. nº 89-462, 6 juillet 1989.
Décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 relatif aux contrats types de location de logement à usage de résidence principale.