Par un arrêt du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a reconnu pour la première fois qu’un livreur travaillant sous le statut d’autoentrepreneur pour une plateforme numérique était lié à cette dernière par un contrat de travail.

En l’espèce, la société Take Eat Easy avait créé une plateforme web et une application, afin de mettre en relation des restaurants avec des clients commandant des repas via la plateforme, les repas leur étaient livrés par des autoentrepreneurs ayant signé un contrat de prestation de services avec la plateforme.

Un des livreurs de Take Eat Easy avait saisi les juridictions prud’homales afin que ces dernières reconnaissent, in fine, qu’il était lié à la plateforme numérique par un contrat de travail et qu’il jouissait donc du statut de salarié et non de celui d’autoentrepreneur.

En droit, l’existence d’un contrat de travail est caractérisée par la réunion de trois critères : (i) l’exécution d’une prestation de travail, (ii) le versement d’une rémunération en contrepartie de l’accomplissement de ce travail et (iii) un lien de subordination entre les parties, celui-ci étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’espèce, s’il n’était pas contesté que le livreur exécutait une prestation de travail et percevait une rémunération en contrepartie de celui-ci, les parties s’opposaient sur l’existence d’un lien de subordination entre le livreur et la plateforme numérique.

La Cour d’appel de Paris avait donné raison à l’argumentation de Take Eat Easy en estimant qu’il n’y avait pas de lien de subordination entre les parties, étant donné que le livreur n’était lié à la plateforme numérique par aucun lien d’exclusivité ni de non-concurrence et qu’il restait libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel et retient l’existence d’un lien de subordination entre les parties caractérisé, selon elle, par deux éléments. Le premier élément, que la Cour d’appel avait déjà relevé mais qu’elle estimait insuffisant, était que la société avait mis en place un système de bonus et de pénalités à l’égard des livreurs assimilable à un pouvoir de sanction de l’employeur. La Cour de cassation a pris en compte un second élément, à savoir que la société avait doté l’application d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel de la position du livreur et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus, ce qui permettait de contrôler l’exécution du travail réalisé.

Par conséquent, le lien de subordination étant caractérisé, les trois critères précités étaient réunis et le livreur était donc bien lié à la plateforme numérique par un contrat de travail.

La portée de cette décision est indéniable au vu des nombreuses plateformes numériques qui, à ce jour, opèrent sur le marché selon le même schéma que Take Eat Easy. On pense notamment à Deliveroo, Glovo ou Uber Eats dont les livreurs ont actuellement le statut d’autoentrepreneur. Une telle décision reconnaît indirectement à ces derniers le statut de salarié et l’application de la règlementation protectrice du droit du travail. L’enjeu est de taille pour ces plateformes dont le modèle économique est basé précisément sur le recours à des indépendants et non des salariés.
En outre, cette décision s’inscrit dans le sillon de débats identiques au sein d’autres États de l’Union Européenne. C’est notamment le cas de l’Espagne où deux juridictions de première instance ont rendu des décisions contradictoires sur le sujet.

La première, rendue le 1er juin 2018 par le Juzgado de lo social n°6 (équivalent de notre conseil de prud’hommes) de Valence à l’égard de la société Deliveroo, va dans le même sens que la décision de la Cour de cassation en reconnaissant à un livreur le statut de salarié. La seconde, rendue le 3 septembre 2018 par le Juzgado de lo social de Madrid n°39 dans le cas de la société Glovo, a estimé, au contraire, que les livreurs étaient bien des travailleurs indépendants, leur relation juridique avec la société n’étant pas caractéristique d’un contrat de travail.

Compte tenu de cette contradiction, il est probable que ces cas aillent jusqu’au Tribunal Supremo (équivalent de notre Cour de cassation). Affaire à suivre.

Maud Thiry

M&B Avocats