Par une décision en date du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a décidé que les articles L. 227-16 alinéa 1 et L. 227-19 alinéa 2 du code de commerce, prévoyant respectivement l’exclusion d’un associé d’une société par actions simplifiée (selon les modalités prévues par les statuts – sans que l’unanimité soit requise) et les conditions d’adoption ou de modification d’une clause d’exclusion statutaire (à la majorité prévue par les statuts – sans que l’unanimité soit requise), étaient conformes aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relatifs au droit de propriété et à ses conditions d’exercice.

Pour rappel, la société par actions simplifiée (dite « SAS ») est une forme juridique très utilisée en France (en 2022, les SAS représentaient 65% des créations de sociétés), régie par les articles L. 227-1 et suivants du Code de commerce, n’ayant pas forcément d’équivalent dans d’autres droits (ex : le système espagnol n’a pas d’équivalent, à la différence de la société à responsabilité limitée (sociedad limitada) ou de la société anonyme (sociedad anónima)), dont le régime s’inspire en partie de la société anonyme française mais dont la loi permet une grande flexibilité dans son fonctionnement et son organisation en laissant aux associés une grande liberté dans la rédaction des statuts (ex : mode de gouvernance, majorité et quorum aux assemblées générales d’associés, …). Les associés peuvent ainsi notamment prévoir une clause d’exclusion dans les statuts. La clause d’exclusion est une clause prévue dans les statuts permettant de forcer un associé à céder ses titres si certaines conditions prévues dans les statuts sont remplies. Deux aspects sont importants concernant la clause d’exclusion : la décision d’insertion (ou de modification) d’une clause d’exclusion dans les statuts et la décision d’exclusion d’un associé.

Concernant l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion dans les statuts, avant la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 (dite loi « Soilihi »), l’article L. 227-19 du code de commerce prévoyait que l’adoption ou la modification d’une telle clause dans les statuts devait être décidée à l’unanimité des associés. La règle de l’unanimité protégeait ainsi l’ensemble des associés en soumettant à l’accord de tous l’insertion ou la modification d’une clause permettant d’exclure un associé. Cependant, la loi Soilihi ayant supprimé l’exigence de l’unanimité, l’article L. 227-19 alinéa 2 du code de commerce prévoit désormais que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion est décidée par décision collective des associés dans les conditions et formes prévues par les statuts. En d’autres termes, l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion dans les statuts peut être effectuée sans que l’accord de tous les associés de la société soit nécessaire.

Concernant la décision d’exclusion d’un associé, l’article L. 227-16 alinéa 1 du code de commerce prévoit que les statuts déterminent les conditions dans lesquelles l’associé peut être tenu de céder ses actions. En d’autres termes, la décision d’exclusion peut être décidée par l’organe désigné par les statuts (ex : les associés, le dirigeant, un tiers, un comité ad hoc, …) et selon la majorité prévue par les statuts (ex : majorité simple, qualifiée, unanimité, …). De nouveau, l’unanimité n’est pas obligatoire.

La lecture combinée de ces deux articles permet donc de comprendre qu’une clause d’exclusion peut être adoptée ou modifiée sans l’accord de tous les associés et la décision d’exclusion elle-même peut également être prise sans l’accord de tous les associés (selon ce qui est prévu dans les statuts). En d’autres termes, et comme le rappelle le Conseil constitutionnel, il en résulte qu’un associé peut se voir exclu de la société et contraint de céder ses actions, le cas échéant, en application d’une clause d’exclusion à laquelle il n’aurait pas consenti. D’aucuns considèrent qu’il s’agirait d’un mécanisme d’expropriation pour cause d’utilité privée.

C’est ce qui était critiqué dans l’affaire à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2022. Les statuts d’une société par actions simplifiée contenaient une clause d’exclusion prévoyant que la qualité d’associé était réservée aux salariés ou mandataires sociaux de la société et, en cas de perte de cette qualité, que l’assemblée générale extraordinaire des associés pouvait exclure l’associé concerné. Or, le requérant était salarié et associé de la société puis a démissionné de ses fonctions de salarié. Les associés ont ainsi procédé, le même jour, en deux étapes :

(i) les associés ont préalablement décidé de modifier la clause d’exclusion existante dans les statuts, qui prévoyait initialement que l’associé concerné ne pouvait pas prendre part au vote (ce qui n’était pas valable et pouvait avoir comme conséquence la nullité de toute décision prise sur cette base) afin d’indiquer que l’associé concerné par la mesure d’exclusion pouvait prendre part au vote, puis le même jour,

(ii) les associés ont ensuite décidé d’exclure le requérant du fait de la perte de sa qualité de salarié.
Ce dernier a assigné la société en nullité de la modification statutaire et de la décision d’exclusion elle-même, tout en posant quatre questions prioritaires de constitutionnalité, qui ont été transmises à la Cour de cassation qui les a ensuite transmises au Conseil constitutionnel.

Par sa décision en date du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a décidé en substance que les articles L. 227-16 alinéa 1 et L. 227-19 alinéa 2 du code de commerce étaient conformes aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tout en apportant des précisions concernant les garanties nécessaires à mettre en œuvre dans le cadre de l’exclusion d’un associé.

Le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que :

  • la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts ;
  • la décision d’exclusion doit reposer sur un motif, stipulé par les statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive ;
  • l’exclusion de l’associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, en application de modalités prévues par les statuts ou, à défaut, soit par un accord entre les parties, soit par un expert désigné dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil ;
  • la décision d’exclusion peut être contestée par l’associé devant le juge, auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu ;
  • l’associé peut également contester le prix de cession de ses actions.

Ces précisions sont importantes, notamment dans le cadre de la rédaction de la clause d’exclusion. A cet égard, nous conseillons notamment à nos clients de lister précisément les motifs d’exclusion (bien que la doctrine ne soit pas unanime sur la nécessité de rédiger précisément les motifs d’exclusion), de prévoir des motifs d’exclusion objectifs et précis (la seule référence à une « faute » est sujette à une interprétation trop large) et conformes à l’intérêt social et à l’ordre public (ex : le désintérêt d’un associé pour les affaires sociales, caractérisé par l’absence répétée aux assemblées générales, a déjà été admis comme un motif d’exclusion valable). En outre, la décision d’adoption ou de modification de la clause d’exclusion ne doit pas faire l’objet d’un abus de majorité (la décision ne doit pas être contraire à l’intérêt social et avoir été prise dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des autres associés).

En résumé, au sein d’une société par actions simplifiée, les associés, notamment les minoritaires, devront demeurer vigilants aux conditions prévues dans les statuts afin de modifier ces derniers et notamment celles prévues pour adopter/modifier une clause d’exclusion et décider de l’exclusion d’un associé (règles de quorum/majorité applicables, motifs d’exclusion, organe compétent pour décider de l’exclusion, …). Le cas échéant, une renégociation des statuts devra être envisagée.

Si un pacte d’associés a été conclu entre les associés, son analyse pourrait également être importante. En effet, comme le savent de nombreux praticiens, la répartition des stipulations à insérer dans les statuts et/ou dans le pacte est un sujet souvent commenté avec nos clients (confidentialité du pacte/publicité des statuts, sanctions différentes en cas d’inexécution du pacte/des statuts, …), notamment concernant les règles applicables pour modifier ces documents (dans la société par actions simplifiée, les statuts sont modifiables aux majorités prévues dans les statuts alors que le pacte d’associés est un contrat ne pouvant être modifié qu’avec l’accord de toutes les parties). Le pacte d’associés pourrait ainsi contenir des stipulations non reproduites aux statuts, pouvant nécessiter l’accord de l’associé concerné alors que les statuts ne prévoient pas un tel accord (le cas échéant, il s’agirait d’une inexécution contractuelle du pacte d’associés, indemnisable, notamment s’il existe une clause pénale prévue au pacte d’associés).

Cette décision rappelle ainsi que la rédaction des statuts (et d’un éventuel pacte d’associés) est essentielle, tant pour s’assurer de la validité d’une clause d’exclusion (choix des motifs, procédure mise en place, …) que pour négocier et connaître les droits et mécanismes de sortie de chaque associé (aussi bien majoritaire que minoritaire).

M&B Avocats est un cabinet d’avocats d’affaires franco-espagnol, qui assiste ses clients français et étrangers, en français, anglais et espagnol, dans de nombreux domaines du droit des affaires et notamment dans le cadre de la négociation et la rédaction des statuts et des pactes d’associés. N’hésitez pas contacter notre cabinet afin de structurer votre activité ou négocier vos relations entre associés.

Alexandre Pelletier

M&B Avocats