La signification d’un acte judiciaire par un commissaire de justice (anciennement huissier) et la date à laquelle cette signification intervient revêtent une importance cruciale. Il en est notamment ainsi de la signification d’un jugement qui fait courir le délai pour interjeter appel. « La signification doit être faite à personne », selon le principe posé par l’article 654 du Code de procédure civile. Mais qu’en est-il si la personne est absente lors du passage du commissaire de justice ?

Avis de passage

L’article 656 prévoit la possibilité, pour le commissaire de justice, de laisser un avis de passage au domicile du destinataire qui ne voudrait ou ne pourrait recevoir la copie de l’acte, s’il résulte de ses vérifications que le destinataire demeure bien à l’adresse indiquée. Dans ce cas, l’avis de passage laissé doit être « conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l’article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l’acte doit être retirée dans le plus bref délai à l’étude [du commissaire de justice], contre récépissé ou émargement, par l’intéressé ou par toute personne spécialement mandatée. ».

La Cour d’appel de Paris s’est récemment prononcée sur ce mode de signification à domicile par avis de passage. Dans le cas d’espèce, une femme, Madame U, avait été condamnée à payer diverses sommes par un jugement du Tribunal de commerce. Ce jugement a été signifié par commissaire de justice le 4 janvier 2023 et Madame U a interjeté appel le 6 février 2023.

La partie adverse a alors soulevé l’irrecevabilité de l’appel au motif qu’il était intervenu après l’expiration du délai d’un mois. Madame U ne l’a pas entendu ainsi et a soulevé pour sa part la nullité de la signification du jugement au motif qu’elle n’avait pas été faite à personne. L’enjeu était de taille car si l’appel est irrecevable car tardif, le jugement devient définitif.

Par une décision du 19 octobre 2023, le conseiller de la mise en état de la Cour d’appel a donné gain de cause à Madame U en jugeant la signification nulle et donc l’appel recevable. C’est la motivation qui est intéressante. En effet, à la lecture des diligences accomplies par le commissaire de justice, il y avait lieu de penser que celui-ci s’était conformé aux dispositions du Code de procédure civile :

« Cet acte a été remis [….] au domicile du destinataire dont la certitude est caractérisée par les éléments suivants : confirmation du domicile par un voisin, avis de passage déposé dans la boîte aux lettres. La signification à la personne même du destinataire de l’acte s’avérant impossible pour les raisons : destinataire absente à 11h50. N’ayant trouvé au domicile du signifié aucune personne susceptible de recevoir copie de l’acte ou de me renseigner, et n’ayant pas connaissance du lieu de travail du signifié, cet acte a été déposé en notre étude…. Un avis de passe daté de ce jour, mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant a été laissé au domicile du signifié conformément aux dispositions de l’article 656 du code de procédure civile. »

Une rigueur indéniable

La Cour n’a toutefois pas jugé ces diligences suffisances. Elle a rappelé le principe selon lequel le commissaire de justice en charge de signifier un acte doit privilégier la remise à personne, ajoutant que cette remise peut intervenir au domicile du destinataire ou sur son lieu de travail. Et en l’espèce, elle a considéré que le commissaire de justice aurait dû établir « en quoi la signification sur le lieu de travail aurait été impossible, alors qu’elle était opérée un jour ouvré et pendant les horaires de travail et qu’une rapide recherche internet permettait d’identifier et de localiser le siège social et le numéro de téléphone de la société dont Mme U est gérante ».

Certes, chaque cas d’espèce a ses particularités et, selon les circonstances, la solution pourra être différente. Il n’en demeure pas moins que la rigueur de la Cour d’appel est indéniable et qu’elle va contraindre les commissaires de justice à la plus grande prudence. Cette rigueur nous semble justifiée afin d’assurer un équilibre entre, d’une part, la nécessaire force probante attachée aux actes des commissaires de justice et, d’autre part, la tout aussi nécessaire protection des droits des justiciables comme en l’occurrence celui de pouvoir interjeter appel d’une décision de justice.

Franck Berthault