La Cour Suprême allemande a accepté, en juillet 2015, l’enregistrement de la couleur bleu comme marque, faisant ainsi droit à la marque Nivea (entreprise Beierdorf) qui s’opposait à la marque Dove (Unilever)[1]. Elle a ainsi obligé le Tribunal Fédéral des Brevets allemand, qui avait auparavant tranché en faveur de Dove, à réviser sa décision au bénéfice de Nivea.
Cette décision est une des rares exceptions qui autorisent l’enregistrement d’une couleur. En l’espèce, le fait de démontrer que plus de 50 % du public associait cette couleur à Nivea a été essentiel. Il a permis de considérer la couleur comme une marque renommée susceptible d’être protégée.
La décision n’est pas exempte de polémique car bien qu’il soit indéniable qu’un certain bleu (plus précisément le bleu Pantone 280 C [2] utilisé depuis 1925) caractérise les produits Nivea, il en est de même pour la plupart des produits Dove, ainsi que pour d’autres concurrents moins connus sur le marché, qui utilisent aussi cette couleur pour leur produits cosmétiques. Il est donc très probable que Dove dépose un recours contre cette décision, et que le débat arrive jusqu’à la Cour de Justice de l’Union européenne.
De manière générale, les enregistrements de couleurs en tant que marque restent exceptionnels, et leur autorisation par les tribunaux ont donné lieu à des cas très longs et médiatisés, comme il a été le cas dans une affaire opposant Cadbury et la marque Milka pour l’utilisation du violet sur les emballages de leurs plaques de chocolat, remportée par la fameuse vache violette, ou encore la lutte acharnée de Louboutin pour protéger sa semelle « Rouge de Chine » face à Yves Saint Laurent notamment.
En Espagne, la question a été traitée dans une décision du Tribunal Suprême [3] concernant les marques Orange et Jazztel. Alors qu’en France, les tribunaux avaient admis l’enregistrement du carré orange Pantone 151. Pour leur part, les juges espagnols, bien qu’ayant reconnu qu’ « en cas de circonstances exceptionnelles, une couleur en elle-même pouvait faire l’objet d’un enregistrement si elle manifeste d’un caractère distinctif, comme conséquence de son utilisation de manière continue préalablement à la demande de son enregistrement« , ont rejeté la demande d’Orange d’utilisation exclusive de la couleur orange délimitée par un carré, considérant qu’il n’avait pas été suffisamment démontré que les consommateurs associaient ce signe à l’opérateur téléphonique, et qu’il s’agissait, de plus, de l’une des couleurs les plus utilisées sur le marché, ce qui rendait son enregistrement contraire à l’intérêt général.
L’argument d’Orange concernant le carré qui limitait la couleur défendue s’est avéré peu efficace, étant donné qu’en première instance, les juges ont estimé que « la simple figure géométrique délimitant la couleur n’apporte aucun caractère distinctif, puisque dans ce signe ce qui importe n’est pas le rectangle mais la couleur orange. En effet, quand les formes associées aux couleurs consistent en des figures géométriques ordinaires ou élémentaires, de façon à ce que dans l’ensemble prédomine l’impression visuelle de la couleur plutôt que celle du contour géométrique, l’absence de caractère distinctif de la couleur en soi, ne pouvant faire l’objet d’un monopole en principe, s’étend aux signes qui se présentent ainsi au registre« .
Face à tant de disparité dans les critères jurisprudentiels, dans quels cas peut-on espérer que l’enregistrement d’une couleur comme marque fonctionne ?
En général, seront refusées les marques constituées par une couleur unique, considérant que leur autorisation génèrerait un avantage compétitif démesuré et nuisible pour les autres marques.
Le développement des techniques de marketing et de communication a amené les entreprises à associer une couleur ou une tonalité à des produits ou services déterminés, la couleur devenant ainsi un critère permettant l’identification avec lesdits produits ou services.
De ce fait, les couleurs distinguent aujourd’hui certains produits ou services, ou sont associées à ces derniers, comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Libertel Groep BV contre Beneleux-Merkenbureau [4], dans laquelle elle affirmait qu’ « en principe, il ne peut pas être présumé qu’une couleur en elle-même constitue un signe puisque, normalement, une couleur est une simple propriété des choses. Toutefois, elle peut constituer un signe, en relation avec un produit ou un service, dans la mesure où la couleur est utilisée sur le marché avec une finalité de concurrence permettant de distinguer certains produits ou services de ceux produits ou fabriqués par d’autres opérateurs sur le marché. En effet, cela dépend du contexte dans lequel la couleur est utilisée, notamment si c’est pour indiquer la provenance des produits ou des services d’une entreprise. »
Ainsi, pour pouvoir être enregistrées et, par conséquent, protégées, les marques d’une seule couleur, comme toute autre marque, doivent:
(i) être composées de signes susceptibles d’une représentation graphique, de manière durable et objective, facilement accessibles et intelligibles, de manière à éviter que seule la couleur soit protégée, et de ce fait monopolisée ;
(ii) avoir un caractère distinctif (en soi ou acquis), en appréciant l’intérêt du public en ce que la couleur reste ou non disponible. Pour ce faire, le consommateur doit identifier la couleur dont l’enregistrement est demandé à une origine commerciale particulière et non pas à une ornementation ou à un élément naturel du produit (par exemple, la couleur verte pour les produits mentholés) ou des couleurs qui seraient devenues habituelles dans les pratiques commerciales (par exemple, la couleur marron-doré pour les canettes de bière). Pour prouver ce caractère distinctif, les enquêtes dirigées aux consommateurs sont essentielles ;
(iii) ne pas être contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
À défaut d’une jurisprudence bien établie, et les décisions de justice étant des solutions a quo, tout indique que la protection des couleurs donnera lieu à de nombreuses polémiques, qui seront sans aucun doute, hautes en couleurs.
Claudia Ambros Biern
Avocate collaboratrice – M&B
[1] Décision de BGH 9 de juillet 2015 Nº 112/2015 – « Nivea-Blau ».
[2] Pantone Matching System, il s’agit d’un système d’identification, de comparaison et de communication des couleurs pour les arts graphiques. Son système de définition chromatique est le plus reconnu et utilisé, ce pourquoi on appelle normalement Pantone le système de contrôle des couleurs..
[3] STS 5725/2013, du 2 décembre 2013.
[4] Décision de la Cour de justice de l’Union européenne, du 6 mai 2003. Affaire C-104/01.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]
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