Nous sommes régulièrement amenés à aborder dans ces colonnes l’actualité jurisprudentielle des agents commerciaux au travers des différents contentieux en la matière qui pour l’essentiel concernent l’indemnisation de l’agent en fin de contrat. Rappelons en effet que l’article L.134-12 du Code de commerce prévoit que l’agent commercial a droit en fin de contrat à une indemnité en réparation de son préjudice.
Encore faut-il que celui qui se prévaut du statut d’agent commercial réponde effectivement à la définition de ce dernier. Selon l’article L. 134-1 du Code de commerce, « l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure, des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux ».
Cette définition ressort de la loi du 25 juin 1991, depuis lors insérée dans le Code de commerce, qui avait transposé dans notre droit la directive européenne du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membre concernant les agents commerciaux. L’article L. 134-1 du Code de commerce reprend la définition donnée par la directive.
Or, depuis maintenant plus de 20 ans, s’est développée en France une jurisprudence tendant à fortement réduire le champ d’application de ces dispositions en se livrant à une interprétation très restrictive du terme « négocier ». Pour bénéficier du statut protecteur, l’agent doit être chargé soit de conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant (ce qui est rare en pratique, le mandant généralement souhaitant conserver le pouvoir de décider de s’engager ou non), soit pour le moins de négocier de tels contrats. Reste à déterminer ce que signifie négocier. Et curieusement, certaines juridictions et notamment la Cour d’appel de Paris, approuvées par la Cour de cassation, considèrent que le pouvoir de négocier signifie le pouvoir de modifier les prix et/ou les conditions du contrat fixés par le mandant. Une telle interprétation, outre qu’elle paraît bien réductrice si l’on s’en tient au sens donné par les dictionnaires, a pour effet en pratique d’exclure du statut protecteur un grand nombre d’agents. En effet, lorsqu’une entreprise recourt à des agents pour la commercialisation de ses produits, et non à des distributeurs, c’est souvent pour conserver la maîtrise des conditions de vente et notamment des prix. Ainsi, le contrat prévoit généralement que l’agent est tenu d’appliquer les conditions et les prix fixés par le mandant.
Cette jurisprudence est critiquée par la doctrine et ne fait d’ailleurs pas l’unanimité au sein des juridictions françaises. On a notamment pu constater que certaines Cour d’appel, telles que celles de Lyon, de Rennes et de Toulouse, refusaient cette définition restrictive de la notion de négocier. Des décisions récentes du Tribunal du commerce de Paris sont également allées dans le même sens.
Une telle situation crée une insécurité juridique qui n’est pas acceptable, ni pour les agents, ni pour les mandants. Elle l’est d’autant moins que dans les autres Etats membres ce débat n’existe pas. C’est donc le principe même de l’harmonisation des droits dans l’Union voulue par la directive de 1986 qui est remise en cause.
Cette situation devrait cesser prochainement. En effet, le Tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 19 décembre 2018, a décidé de sursoir à statuer dans une affaire où le statut de l’agent commercial était contesté afin de poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union Européenne :
« L’article 1er, paragraphe 2 de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 sur le statut des agents commerciaux, doit-il être interprété come signifiant qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et les conditions contractuelles des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ? »
Cette décision des juges consulaires parisiens doit être saluée.
On ne saurait bien évidemment préjuger de l’arrêt à intervenir de la Cour de justice. Il nous paraît toutefois probable que cette dernière réponde par la négative à cette question, refusant d’interpréter de façon aussi restrictive la notion de négociation. Dans tous les cas, la Cour de justice devra clarifier la situation et c’est la sécurité juridique des entreprises qui se trouvera ainsi renforcée.
Franck Berthault
Avocat associé
M&B Avocats
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