Plus de deux ans après le premier confinement ordonné par le Gouvernement du fait de la pandémie de Covid-19, la Cour de cassation s’est prononcée sur le sort des loyers commerciaux dus au titre de cette période, à savoir du 17 mars au 10 mai 2020 inclus.
De nombreux commerçants avaient en effet refusé de payer leurs loyers du fait de l’interdiction gouvernementale d’accueillir du public dans les locaux commerciaux considérés comme non-essentiels, ce qui avait conduit les bailleurs à saisir les tribunaux.
Jusqu’alors, seules certaines Cour d’appel s’étaient positionnées, telles que la Cour d’appel de Paris, et notamment sa troisième chambre, qui avait adopté des décisions contraires. D’autres avaient fait preuve de plus de prudence, préférant surseoir à statuer dans l’attente d’une décision de la Haute Juridiction.
Par trois arrêts en date du 30 juin 2022, la Cour de cassation a rejeté l’ensemble des arguments invoqués par les preneurs pour tenter de justifier leur refus de payer leurs loyers. Deux de ces arrêts sont publiés au Bulletin de la Cour de cassation, ce qui démontre leur importance et la volonté de la Cour de répondre aux questions de droit nouvellement posées par la fermeture des locaux imposée par le Gouvernement en raison de la pandémie. Cette volonté est clairement exprimée par la Cour de cassation dans un communiqué de presse par lequel elle a explicité avoir « été saisie d’une trentaine de pourvois » et que « la troisième chambre civile a fait le choix d’examiner trois d’entre eux en priorité, car ils lui offraient l’opportunité de répondre à des questions de principe posées par cette situation ».
Trois moyens étaient invoqués par les preneurs pour justifier du non-paiement des loyers commerciaux pendant la période du premier confinement.
En premier lieu, les locataires invoquaient la perte de la chose louée qui, conformément à l’article 1722 du Code civil, leur permet d’obtenir une réduction du loyer en cas de perte du local loué dans des circonstances fortuites. La Cour de cassation refuse ce moyen et juge que l’interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire est une interdiction générale et temporaire, ayant pour seul objectif de préserver la santé publique, qui ne peut être assimilée à une perte de la chose louée.
En second lieu, les locataires invoquaient l’exception d’inexécution conformément à l’article 1219 du Code civil aux termes duquel une partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne et si cette inexécution peut être qualifiée de suffisamment grave. En l’espèce, les locataires soutenaient que les bailleurs avaient manqué à leurs obligations, d’une part, de délivrance du local loué, et d’autre part, d’en garantir la jouissance paisible. Une nouvelle fois, la Cour de cassation rejette cet argument. La mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance puisque les locaux loués ont été mis à la disposition du locataire et que l’impossibilité d’exploiter résulte du seul fait du législateur et ne peut donc pas être imputée au bailleur.
En troisième et dernier lieu, les locataires invoquaient la force majeure. Ce moyen n’est pas non plus retenu par la Haute Juridiction qui juge qu’« il résulte de l’article 1218 du Code civil que le créancier qui n’a pas pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure ». La Haute Juridiction confirme ici sa jurisprudence antérieure : la force majeure ne peut être invoquée s’agissant de l’exécution d’une prestation financière.
Enfin, il est important de noter que l’un de ces arrêts faisait suite à une action en référé intentée par le bailleur pour obtenir le paiement de ses loyers, qui ne pouvait être accueillie favorablement que si la créance du bailleur n’était pas sérieusement contestable. Le preneur invoquait l’existence d’une contestation sérieuse fondée sur les deux moyens de droit évoqués ci-dessus, à savoir le manquement du bailleur à son obligation de délivrance et la perte de la chose louée. La Cour de cassation a jugé que dès lors que ces deux moyens étaient infondés, il y a lieu d’« en déduire que l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable ». Cet arrêt est publié au bulletin. La solution de principe est donc claire et les bailleurs sont fondés à agir en référé pour obtenir le paiement des loyers commerciaux.
On ne peut que saluer ces clarifications apportées par la Cour de cassation. En droit, et notamment en droit des affaires, l’incertitude n’est pas acceptable. Les acteurs économiques, en l’espèce les commerçants comme les propriétaires, ont besoin de certitudes. Les réponses apportées par la Cour de cassation aux arguments des preneurs pourront toujours être critiquées mais elles ont le mérite d’exister.
Pour comprendre ces arrêts, outre les motivations purement juridiques, on ne peut au demeurant écarter le contexte économique et politique. A cet égard, dans son communiqué de presse, la Cour de cassation a révélé que le parquet général avait versé aux débats une note du ministère de l’économie, des finances et de la relance relative à l’impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces de laquelle il ressort que :
- jusqu’à 45 % des établissements du commerce de détail ont été fermés durant la crise ;
- le montant total des loyers et charges locatives ainsi immobilisés est estimé à plus de 3 milliards d’euros ;
- ces entreprises ont pu bénéficier de trois dispositifs d’aides successifs (fonds de solidarité, coûts fixes et aide loyers), ainsi que d’autres mesures de soutien.
Ces données incitaient à l’évidence à protéger et favoriser les bailleurs, les commerçants preneurs ayant pour leur part été grandement aidés.
Franck Berthault, Eric Pomonti et Sofia Castillo
M&B Avocats