Le 3 février dernier, l’Assemblée nationale espagnole a validé le Décret-Loi Royal 32/2021 du 28 décembre 2021, adopté par le Gouvernement, portant réforme du droit du travail (ci-après le « RDL 32/2021 »).

Pour la première fois depuis 30 ans, les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement espagnol se sont mis d’accord sur un texte qui, s’il ne déroge pas complètement à l’importante réforme opérée en 2012, revient néanmoins sur une partie des apports de cette dernière grande réforme qui avait introduit des changements très importants au Statut des travailleurs.

Le RDL 32/2021 entrera en vigueur le 30 mars 2022.

Les principales évolutions introduites par le RDL 32/2021 sont les suivantes :

  • Afin de lutter contre la précarité du travail en Espagne, le régime des contrats à durée déterminée (CDD) a été considérablement modifié.
    • Le recours au CDD pour la réalisation de travaux ou services déterminés (CDD de mission / à objet défini) a été supprimé.
    • Il ne reste désormais que deux cas de recours au CDD autorisés : le CDD conclu que pour des circonstances de production (CDD pour accroissement temporaire d’activité)¹ qui a été redéfini ainsi que le CDD pour remplacer un salarié absent.
    • La loi encadre précisément les circonstances dans lesquelles le recours à ce type de contrats sera autorisé, tout comme leur durée.
    • De plus et afin de lutter contre la fraude, la loi prévoit désormais que les amendes qui pourront être infligées en cas d’infraction s’appliqueront autant de fois qu’il y a de contrats indûment conclus, en lieu et place, de l’amende globale prévue par le texte auparavant. Le montant des sanctions devient assez conséquent puisqu’il peut aller jusqu’à 10 000€ par contrat.
  • Afin de pallier les conséquences de la suppression des CDD saisonniers et CDD à mission / objet défini pour permettre à l’employeur une certaine flexibilité tout en limitant la précarité pour les salariés, le régime des CDI intermittents a été modifié.

L’employeur peut recourir à ce type de contrat pour :

  • Pourvoir des emplois à caractère saisonnier ou activités productives saisonnières ou pour des activités qui, si elles ne peuvent pas être qualifiées de saisonnières, revêtent un caractère intermittent et ont des périodes d’exécution à terme certain qu’il soit déterminé ou indéterminé.
  • L’exécution de prestations de services dans le cadre de l’exécution de contrats commerciaux ou administratifs qui sont prévisibles et formant partie de l’activité habituelle de l’entreprise. Les contrats commerciaux ou administratifs qui font partie de l’activité ordinaire de l’entreprise.

L’importante nouveauté introduite dans le Statut des travailleurs par la réforme affecte le calcul de l’ancienneté des salariés intermittents. En effet, les périodes d’inactivité entre deux missions entreront dans le décompte de leur ancienneté, ce qui aura une incidence sur le calcul des indemnités chômage notamment.

  • Afin de permettre la compatibilité des études et le travail, la réforme a modifié et refondu le régime des contrats de formation. De nouveaux types de contrats ont été créés : les contrats en alternance et le contrat destiné à acquérir une pratique professionnelle adaptée aux études et qui est pensé pour favoriser l’obtention par les jeunes diplômés d’une première expérience professionnelle.
  • La dernière nouveauté qu’apporte cette réforme est la mise en place de ce qui est appelé « Mecanismo RED» de Flexibilité et de stabilité de l’emploi.

Ce mécanisme, qui est une création de la réforme, a pour vocation de créer un nouveau type d’ERTE (procédure de mise en activité partielle par suspension des contrats ou réduction du temps de travail), à côté du régime déjà en vigueur qui a abondamment été utilisé pendant la crise sanitaire.

Les ERTEs réalisés sous l’égide de ce mécanisme RED bénéficieront d’exonérations de cotisations sociales plus importantes que dans le cadre des « ERTEs classiques ».

La mise en œuvre de ce mécanisme requiert une activation préalable par le Gouvernement.

Le RDL 32/2021 prévoit deux modalités :

  • Une modalité cyclique motivée par la conjoncture macroéconomique générale qui impose l’adoption de mesures d’une durée d’un an maximum.
  • Une modalité sectorielle motivée par la situation d’une branche ou de branches en particulier qui justifie que soient prises des mesures de flexibilisation, d’une durée maximum d’un an, avec possibilité de deux prorogations de six mois chacune.

Dans le cadre de ce mécanisme, l’entreprise pourra aussi bénéficier de certaines exonérations de cotisations sociales, entre 60 % et 20 %, suivant les cas, sous réserve de réaliser des actions de formation.

  • La réforme revient sur deux apports essentiels de la précédente réforme de 2012, à savoir (i) la possibilité pour les accords d’entreprise de déroger de manière moins favorable aux dispositions des conventions collectives de branche et (ii) la suppression du principe de prorogation automatique des conventions collectives après arrivée à échéance de leur terme.

S’agissant du premier point, le RDL 32/2021 limite la possibilité pour les accords d’entreprise de déroger aux dispositions de la convention collective de branche dans un sens moins favorable aux salariés puisque sont désormais exclues de cette possibilité les dispositions relatives aux salaires.

S’agissant du second point concernant la durée des conventions collectives, comme avant la réforme de 2012, les conventions collectives seront automatiquement prorogées pour une durée indéterminée dans l’attente de la négociation d’une nouvelle convention entre les partenaires sociaux.

  • Enfin, la réforme modifie le régime de la sous-traitance. L’un des apports les plus notables de cette réforme concernant la convention collective applicable. En effet, le RDL 32/2021 dispose que s’appliquera la convention collective du secteur de l’activité sous-traitée exercée, indépendamment de l’objet social de l’employeur et de sa forme juridique, sauf accord d’entreprise spécifique. Pour les entreprises multi-activités, cette disposition peut conduire à l’application de plusieurs conventions collectives.

Ce texte représente un changement majeur du droit du travail, tant par son mode d’adoption que par les dispositions qu’il contient.

Il implique une modification drastique de certaines pratiques, notamment celles associées au recours important aux CDD.

De plus, le RDL 32/2021 n’est pas sans poser des difficultés d’interprétation qui devront être tranchées par la jurisprudence, notamment par exemple sur le calcul de l’ancienneté dans le cadre des CDI intermittents.

Il convient donc d’attendre la mise en œuvre concrète de ces dispositions pour voir comment les employeurs s’emparent de ces nouveaux types de contrats et outils.

Elodie Loriaud et Celia Juega
M&B Avocats


¹ Circonstances de production : « circunstancias de la producción » il s’agit de l’équivalent du CDD pour accroissement temporaire d’activité français qui correspond au CDD conclu en cas d’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise.