L’article L. 442-6 du Code de commerce dispose qu’une entreprise engage sa responsabilité si elle rompt une relation commerciale établie sans respecter un certain préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale. Alors même que la durée du préavis dépend de chaque cas d’espèce et que des critères autres que la durée de la relation peuvent être pris en considération, la jurisprudence montre qu’un préavis d’au minimum six mois est fréquemment requis dès lors que les parties entretenaient des relations depuis plusieurs années.
Cette disposition est apparue dans notre droit en 1996 et l’objectif du législateur était alors de sanctionner les déréférencements abusifs dans la grande distribution. Les nombreuses décisions rendues en la matière ont permis aux tribunaux de progressivement définir les conditions et les modalités d’application de ce texte. Le constat premier qui peut être fait est que son champ d’application est très large et qu’il s’étend bien au-delà de sa cible initiale. Tout type de relation commerciale est concerné qu’elle fasse ou non l’objet d’un contrat écrit. Cette relation commerciale doit seulement être établie, selon la lettre même de l’article L. 442-6, à savoir revêtir un caractère suivi, stable et habituel nous dit la Cour de cassation.
Rapidement s’est posée la question de savoir si ce texte était applicable en cas de changement de cocontractant et notamment dans l’hypothèse d’une cession de fonds de commerce. Le cessionnaire du fonds est-il tenu de poursuivre les différentes relations commerciales qu’entretenait le cédant ? De la même façon, les partenaires du cédant du fonds sont-ils tenus de poursuivre leurs relations avec l’acquéreur du fonds ? Cette question est bien évidemment fondamentale.
La Cour de cassation considère qu’une relation commerciale peut se poursuivre en cas de changement de cocontractant et notamment en cas de cession du fonds de commerce et ce, alors même qu’aucun contrat écrit n’est conclu entre l’acquéreur et l’ancien partenaire du cédant du fonds. Cette poursuite ne saurait toutefois être automatique et c’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 15 septembre 2015 : la cession du fonds de commerce « n’a pas substitué le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que cette société entretenait avec la société Vivien », en l’espèce une société de transport.
On ne saurait être plus clair.
Si la cession n’entraîne pas nécessairement substitution et donc poursuite de la relation commerciale, une telle poursuite est cependant envisageable en fonction des circonstances. Le deuxième apport de cet arrêt de la Cour de cassation est de juger qu’il ne peut y avoir poursuite de la relation initiale que si l’acquéreur a manifesté l’intention en ce sens. La Cour d’appel de Paris, dont l’arrêt a été confirmé par celui de la Cour de cassation du 15 septembre 2015, avait certes précisé que la manifestation de l’intention pouvait être directe ou indirecte. Ainsi, un écrit n’est pas indispensable. L’attitude de l’acquéreur du fonds peut manifester son intention de poursuivre la relation. Cette manifestation devra cependant être suffisamment manifeste. Dans cette affaire, la cession du fonds avait été précédée d’une mise en location gérance pendant six mois et le locataire gérant avait continué de faire appel aux services de la société de transport de son prédécesseur pendant cette période et au cours des premières semaines faisant suite à la cession du fonds. Et bien la Cour d’appel et la Cour de cassation ont jugé que ces circonstances ne traduisaient pas la volonté de l’acquéreur de poursuivre la relation.
La conséquence est que le préavis donné à la société de transport en question n’avait pas à être déterminé en considération de la durée de la relation nouée initialement avec le cédant du fonds de commerce. Ainsi, la relation avec l’acquéreur du fonds n’ayant duré qu’à peine plus de six mois, le un préavis de trois mois donné par ce-dernier a été jugé suffisant par les tribunaux. La relation initiale ayant débuté en 1998, il est bien évident qu’il en aurait été différemment si celle-ci avait été prise en compte. Il est probable qu’un préavis de l’ordre d’une année aurait été requis. On rappellera que l’entreprise qui rompt une relation commerciale sans respecter un préavis suffisant est généralement condamnée à des dommages et intérêts calculés sur la base de la marge brute perdue par le partenaire au cours du préavis non effectué.
On notera enfin que l’entreprise, telle que la société de transport dans cette affaire, qui voit son partenaire céder son fonds de commerce n’est pas nécessairement sans argument juridique à faire valoir en cas de rupture par l’acquéreur. Toutefois, elle aura peut-être tout intérêt à se tourner vers son cocontractant, cédant du fonds. En effet, celui-ci doit se préoccuper du sort de ses partenaires commerciaux et s’il ne le fait pas c’est lui qui peut engager sa responsabilité en cas de rupture par l’acquéreur.
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