L’administration fiscale espagnole rejette fréquemment la déductibilité des rémunérations des gérants de sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés. Une position restrictive remise en cause par un arrêt récent du Conseil d’Etat espagnol qui pourrait marquer un point d’inflexion.
Depuis quelques années l’administration fiscale espagnole a adopté une position restrictive au sujet de la déductibilité des rémunérations des gérants de sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés —IS—. Ainsi, l’administration a fréquemment remis en question la déductibilité de ces charges qu’elle a, dans certains cas, qualifié de libéralités ou, dans d’autres cas, de charges illégales. Elle fonde le rejet sur le défaut d’accomplissement des conditions formelles prévues par le Droit des sociétés, soit le défaut d’inscription dans les statuts et d’approbation en assemblée générale.
Le rejet de l’administration affectait non seulement les rémunérations perçues par les gérants pour leurs fonctions de représentation et délibération, mais également toute autre rétribution versée aux gérants pour leurs fonctions exécutives, indépendante à leur position de gérant. Cela s’est fait par une application stricte et extensive de la « teoría del vínculo » (« théorie du lien »), une théorie du Droit du travail selon laquelle la nomination en tant que gérant crée un nouveau lien entre celui-ci et la société, absorbant tout lien préexistant, y compris celui résultant d’un contrat de travail.
Principaux concernés : les dirigeants salariés
La question concernait donc principalement les dirigeants salariés, généralement liés avec la société par un contrat de haute direction, en particulier dans le contexte de groupes multinationaux. En effet, ceux-ci sont souvent nommés gérants ou disposent de pouvoirs étendus sans que cela n’entraîne de modifications ni dans leur contrat de travail, celui-ci étant maintenu bien qu’il devait être substitué par un contrat de prestation de services, ni sur leur rémunération.
En d’autres termes, une fois nommés gérants, les dirigeants continuaient à exercer les fonctions prévues dans leur contrat de travail et à percevoir les rémunérations accordées dans celui-ci, sans que la nomination comme gérant n’implique de rémunération additionnelle spécifiquement liée à leur fonction de gérants.
Régularisation fiscales nombreuses
L’interprétation stricte de l’administration fiscale impliquait que la rémunération des dirigeants, dont la déductibilité n’était pas remise en cause avant leur nomination comme gérants, pouvait être considérée comme non-déductible dans son intégralité si la société n’avait pas prévu de rémunération aux gérants dans ses statuts.
Cette situation se produisait très fréquemment dès lors que la société n’accordait pas au dirigeant de rémunération supplémentaire spécifique à sa nomination en tant que gérant ou si elle ne respectait pas toutes les dispositions juridiques en matière de détermination et approbation de la rémunération des gérants.
Cette interprétation administrative a conduit à de nombreuses régularisations fiscales, déclenchant ainsi des litiges avec l’administration fiscale. En outre, pour éviter de telles régularisations, les groupes ont dû adopter des modifications dans leurs statuts sociaux, souvent avec des structurations artificielles, et multiplier les formalités dans ce domaine, sans avoir la certitude que le schéma adopté serait accepté par l’administration fiscale.
Un point d’inflexion
C’est dans ce cadre que le 27 juin 2023, le Conseil d’Etat espagnol (« Tribunal Supremo ») a rendu un arrêt important qui pourrait devenir un point d’inflexion en la matière et qui a suivi plusieurs décisions précédentes de la Audiencia Nacional, juridiction de recours préalable au Tribunal Supremo remettant en cause l’excessif formalisme exigé par l’administration fiscale pour accepter la déductibilité de ces charges.
Dans cet arrêt, le Tribunal Supremo rejette la qualification de libéralité des rémunérations des gérants lorsque les services ont effectivement été rendus et que les rémunérations ont été prévues dans les statuts sociaux et dûment comptabilisées. Ainsi le Tribunal considère que le paiement de ces rémunérations n’est pas inspiré par un « animus donandi » et que le non-respect total ou partiel des règles de Droit de Sociétés ne peut entraîner la qualification de libéralités de ces charges, qu’ainsi le rejet de la déductibilité de ceux-ci est une conséquence disproportionnée. La situation dans laquelle ces rémunérations ne sont pas prévues par les statuts n’a pas été abordée par l’arrêt.
Bien que cet arrêt ne constitue pas un revirement jurisprudentiel, ne contestant ni l’exigence de la conformité de la rémunération avec les dispositions du droit des sociétés ni l’application de la part de l’Administration fiscale de la « théorie du lien », il constitue un précédent dans la mesure où le Tribunal rejette l’application automatique de ces exigences de la part de l’Administration fiscale qui devrait effectuer une analyse casuistique afin de déterminer si la rémunération peut être considérée déductible aux effets de l’impôt sur les sociétés. Enfin, bien que cette question ne soit pas encore définitivement tranchée, les récentes décisions jurisprudentielles laissent entrevoir une régulation plus adaptée à la réalité, offrant une sécurité juridique indispensable.
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