Conditionnés par l’article 606 du Code civil et la charge des travaux structurels qui repose obligatoirement sur les propriétaires-bailleurs, nos clients sont en général très curieux des mécanismes de répartition des travaux entre le bailleur et le locataire dans les baux commerciaux, de bureaux et d’entrepôts en Espagne.

Au moment de négocier leurs contrats de bail pour implanter leurs activités sur le marché espagnol ou dans le cadre d’opérations d’investissements immobiliers impliquant la conclusion, ou la reprise, d’un bail de moyen/long terme, les travaux sont un point important de la négociation.

En Espagne, à défaut de prévisions entre les parties dans leur contrat de bail commercial¹, le principe de répartition des travaux, tel que défini par la loi² (la « LAU »), est similaire à celui applicable en France, à savoir :

  • le bailleur est tenu de réaliser les travaux dits de conservation du local loué (l’équivalent grosso modo des grosses réparations au sens de l’article 606 du Code civil), afin que le locataire puisse en disposer conformément à sa destination contractuelle, sauf si les dommages causés sont imputables au locataire ou à toute autre personne sous sa responsabilité ;

Le locataire est, quant à lui, tenu de supporter les réparations dites urgentes. Toutefois, selon l’ampleur et la durée des travaux, la LAU prévoit une réduction ou une suspension du paiement du loyer, voire la résolution du contrat de bail.

  • le locataire prend en charge, à ses frais, les réparations courantes liées à l’usage normal du bien immobilier, à moins qu’elles ne soient occasionnées par la vétusté ou provoquées par la force majeure.

Il est à noter que la règlementation espagnole ne définit pas avec précision la nature des travaux devant être supportés par chaque partie. Il faut donc se reporter à la jurisprudence qui a considéré que les travaux de conservation à la charge du bailleur sont, par exemple, ceux visant à éviter que l’humidité n’endommage les parois du local loué (étanchéité), ou à réparer les conduits d’eaux et les tuyaux d’écoulement des eaux usées³ (structure), ainsi que les travaux relatifs à l’imperméabilisation de la toiture.

Une autre spécificité de la LAU, toujours en l’absence de prévisions contractuelles entre les parties, est que le locataire doit supporter les travaux d’amélioration du local réalisés par le bailleur dans la mesure où ils ne peuvent raisonnablement pas être reportés à l’expiration du bail. Il s’agit, par exemple, des travaux subventionnés par l’Administration et soumis à un délai d’exécution, ou les travaux imposés par le syndic de copropriété.

Pour ce qui est des travaux à la charge du locataire, la LAU précise uniquement que ce dernier ne peut effectuer, sans le consentement écrit du bailleur, des travaux susceptibles de modifier la configuration du local ou de ses accessoires (débarras ou tout autre dépendance louée avec le local principal), et lui interdit de réaliser des travaux diminuant la stabilité ou la sécurité du local. En pratique, il est d’usage que le bailleur donne son accord au locataire pour qu’il puisse réaliser à ses frais, et en début de bail, des travaux d’adaptation du local à l’activité qu’il y exercera.

En réalité, la répartition contractuelle des travaux entre le bailleur et le locataire en Espagne est significativement moins favorable pour le locataire contrairement à ce qu’il ressort des dispositions de la LAU. En effet, les parties peuvent y déroger (et en pratique, compte tenu de la force de négociation des bailleurs, elles y dérogent dans la grande majorité des cas) en excluant expressément l’application de la LAU au bénéfice du bailleur et le rapport de force s’inverse souvent en faveur du propriétaire.

Il est donc assez habituel en Espagne, qu’en plus des menus travaux et réparations courantes, soient également mis à la charge du locataire la réalisation des travaux de conservation du local (ou grosses réparations), notamment dans les baux dits « triple net », ainsi que les travaux de mise aux normes du bien immobilier exigés par l’Administration.

En tout état de cause, il est vivement conseillé aux parties de prévoir contractuellement la réalisation d’un état des lieux d’entrée et de sortie du bien loué, la règlementation espagnole ne le prévoyant pas, mais établit en revanche une présomption en défaveur du locataire considéré comme étant responsable de la détérioration du local, à moins qu’il ne démontre le contraire.

Dans notre pratique quotidienne, nous accompagnons nos clients dans la négociation et dans la rédaction de ce type de contrats, dont l’importance est fondamentale compte tenu du caractère supplétif de la loi, en leur décryptant les dispositions légales et en leur proposant des systèmes alternatifs de répartition négociables, afin de répondre au mieux à leurs attentes spécifiques dans le cadre de leurs négociations.

 

Marina Nicolas

M&B Avocats


¹ Contrat compris dans la catégorie des baux « à usages différents de celui d’habitation » (« Arrendamientos para uso distinto al de vivienda »), soit ceux qui sont destinés principalement à un usage différent de celui d’habitation, selon la définition résiduelle de la LAU. Cette catégorie comprend notamment les baux à usage dits « professionnel », c’est-à-dire ceux conclus pour exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, professionnelle, récréative, d’assistance, culturelle ou d’enseignement ;

² «Ley 29/1994, de 24 de noviembre, de Arrendamientos Urbanos», par renvoi aux dispositions applicables aux baux d’habitation;

³Tribunal Supremo (civil), n.32/1970, del 30 de enero de 1970 ; Tribunal Supremo (civil), n.1135/1992, rec.2056/1990, del 4 de diciembre de 1992 ») ;

Audiencia Provincial de Sevilla (sección 2ª), n.133/2006, rec. 2993/2005, del 31 de marzo de 2006 ») ;

Le locataire a le choix entre demander la résolution du bail si ces travaux l’empêchent d’exercer son activité, ou une diminution du loyer proportionnelle à la partie du local affectée par les travaux, en plus du droit à une indemnisation couvrant les frais qu’il aurait engagés pour éviter les répercussions de ces travaux sur son activité. Le bailleur, quant à lui, a le droit d’augmenter le loyer annuel pour répercuter au locataire le capital investi dans l’amélioration du bien immobilier, au taux d’intérêt légal augmenté de trois points, à compter de la fin des travaux (sans toutefois excéder de 20% du montant du loyer en vigueur au moment de son application) ;

Art. 30 de la LAU renvoyant à l’art.23 sur les baux à usage d’habitation ;

Contrat de bail dans lequel le locataire s’engage à payer, en plus du loyer et des charges, toutes les dépenses de la propriété (y compris les taxes foncières, l’assurance du bâtiment et l’entretien) ;

 En fonction du type de bien et de la complexité des installations s’y trouvant, la présence d’un notaire à cet effet pourrait être recommandée ;